Depuis deux mois et demi, vous aurez sans doute observé qu'une bougeotte inhabituelle anime le drapeau canadien dans une salle de l'Hôtel du Parlement. Il conviendrait de calmer les esprits et de tenter de remettre les choses à leur place, si l'on peut dire, pour ces grands symboles nationaux que sont l'unifolié et le fleurdelisé. Ma démarche s'adresse bien entendu aux représentants de tous les partis représentés dans l'institution que vous présidez.

Pavoiser, c'est afficher un drapeau (ou d'autres symboles, comme des épinglettes).  En montrant ce drapeau, on indique une fierté ou une appartenance : le drapeau constitue donc un moyen de communication. Les particuliers et le secteur privé affichent des drapeaux à leur convenance, sans être assujettis à des règles strictes, et ce geste s'avère souvent empreint de subjectivité. Dans les institutions publiques, il indique d'abord, visuellement, objectivement, l'entité gouvernementale présente dans l'édifice et qui offre des services. Les lois et règlements sont clairs quant aux obligations qui en découlent. Par exemple, «le drapeau du Québec doit être déployé lors des manifestations officielles du Québec, ainsi que dans les lieux, cas et circonstances prévus par règlement du gouvernement. Dans tous les cas, le drapeau du Québec a préséance sur tout autre drapeau ou emblème». La même logique s'observe d'ailleurs pour le drapeau canadien.

Trois grands principes font consensus au sujet du déploiement des drapeaux :

On pavoise correctement ou on ne pavoise pas ;On place un drapeau lorsque sa signification et sa présence sont pertinents ;Il est correct de retirer un drapeau dans un pavoisement fautif.

Ainsi, un drapeau, s'il a sa justification, doit être arboré à la place d'honneur : derrière l'épaule droite de l'orateur, à l'avant d'un édifice, à une place bien visible dans une salle, etc. À l'Hôtel du Parlement, cette place d'honneur s'avère essentiellement triple : d'abord et surtout, dans la Salle de l'Assemblée nationale, communément appelée le Salon bleu, là où siègent les élus (c'est dicté par le bon sens) ; ensuite au sommet de la tour centrale (la loi l'exige); enfin, dans la Salle du Conseil législatif, appelée Salon rouge, là où se tiennent de nombreuses cérémonies. Or le drapeau canadien n'est présent que dans ce dernier. C'est une incohérence flagrante, résultat d'un compromis datant de 1991, boiteux comme tout compromis.

Le drapeau du Canada, est-il justifié de trôner dans le Salon rouge ?

L'Assemblée nationale du Québec est la plus importante institution de l'État québécois ; elle n'est redevable qu'aux électeurs du Québec. Aucune autorité fédérale (ou autre) n'a de prise sur son fonctionnement, aucun représentant de l'État canadien n'y joue quelque rôle que ce soit, si on fait abstraction de cas ponctuels, comme des réunions intergouvernementales ou internationales, par exemple. Ainsi, lorsque l'autorité fédérale sera représentée, on pourra ajouter - et seulement pour cette occasion - l'unifolié.

Le drapeau du Québec flotte-t-il devant une ambassade ou un consulat, devant un bureau de poste ou un ministère fédéral ? Est-il présent à l'arrière du premier ministre du Canada lors de ses discours officiels à l'étranger ? Le fleurdelisé a-t-il raison d'être présent dans le bureau d'un député de la Chambre des Communes ? L'unifolié est-il arboré devant une délégation du Québec à l'étranger ? Le drapeau du Canada peut-il, au Québec, être présent, devant un hôtel de ville, une école, un hôpital ? Vous-même, comme président, utiliseriez-vous le drapeau du Canada lors de vos déplacements officiels à l'étranger ? Et ainsi de suite. La réponse est négative dans tous ces cas !

Les spécialistes du pavoisement, tout comme les experts en cérémonial, s'accordent pour dire que le retrait d'un drapeau est tout aussi significatif que l'installation d'un drapeau, à cause de l'importance même du pavoisement, évoquée plus haut. Cependant, lorsqu'il s'avère qu'il n'a pas sa place, on peut retirer simplement un drapeau, lorsqu'il communique un mauvais message : il n'est pas pertinent, il est en mauvais état, etc.

Je vous invite donc, Monsieur le Président à retirer le drapeau canadien du Salon rouge et à le remiser, très simplement, sans subjectivité, sans animosité. Il n'y a aucun signe de mépris dans un tel geste ; lorsqu'elle sera justifiée, la présence de l'unifolié n'en aura que plus de valeur.

Dans le cas contraire, la logique exige, et c'est pourquoi je vous le demande, qu'un unifolié soit installé à l'arrière de votre trône dans le Salon bleu.