L'année 2011 en particulier aura été « horribilis » dans le secteur du transport routier : fermetures sans préavis de ponts donnant accès à Montréal, chute de paralumes, fermetures d'urgence de bretelles d'échangeurs, etc. En un mot, une période d'improvisation chez les décideurs et de frustration chez les usagers.
Au milieu de ce champ miné, le ministre des Transports du moment (Sylvain Gaudreault est le sixième depuis 2003) accourait lorsqu'il y avait catastrophe pour affirmer que tout était sécuritaire... sauf ce qui venait de s'écraser. Rappelons-nous Sam Hamad. Quelle était sa crédibilité?
C'est aussi dans ce contexte que sont nés les soupçons de corruption: les firmes de génie-conseil autoriseraient des suppléments injustifiés en retour de ristournes des entrepreneurs et financeraient les partis politiques au pouvoir. Après les sorties fort médiatisées de Jacques Duchesneau, Jean Charest, à contrecoeur, s'est résolu à créer une commission d'enquête.
Face à de tels malheurs, les planètes étaient elles exceptionnellement mal alignées? Malheureusement non! Nous subissons les effets des mauvaises décisions gouvernementales des 30 dernières années, en particulier celle prise en 1999 par l'administration de Lucien Bouchard de ramener le déficit à zéro en partie sur le dos des routes.
Entre 1996 et 2011, le Québec a dépensé 351 000 $ par kilomètre pour l'entretien de son réseau pendant que l'Ontario en investissait 657 000 $. La chute du viaduc de la Concorde en 2006 a sonné le réveil. Mais il était déjà bien tard! Les gouvernements, toujours en mal de visibilité immédiate, ont beaucoup de difficultés à investir dans l'entretien des infrastructures et il faut souvent des catastrophes pour qu'ils redécouvrent leurs responsabilités.
Même si les budgets dédiés à l'entretien des infrastructures routières ont été majorés au cours des dernières années, d'autres problèmes affligent notre ministère des Transports : celui-ci perd son personnel au profit du privé et admet ne plus avoir l'expertise pour effectuer la surveillance du réseau existant. Il n'est plus capable de coordonner adéquatement la préparation des plans et devis et de s'assurer que les contrats sont exécutés correctement. Il doit s'en remettre au secteur privé mais à des coûts très supérieurs à ceux de l'interne.
Les électeurs sont de plus en plus désabusés à l'égard de nos politiciens. Mais peut-être ne faut-il pas questionner seulement les hommes mais aussi les structures? Dans notre système, nos élus sont non seulement des législateurs mais aussi des « opérateurs » responsables de vastes secteurs (4100 employés au Transport) dispensant des services aux citoyens. Lorsqu'un député est « parachuté » à la tête d'un ministère, c'est un heureux hasard s'il a une préparation immédiate pour diriger celui-ci car la compétence dans le domaine n'est pas un critère incontournable.
Cette absence de préparation à assumer des responsabilités données dans une société de plus en plus complexe, est un des facteurs qui mine la crédibilité des politiciens. Pourtant, il y a d'autres façons de procéder. Ainsi aux États-Unis, les « ministres » ne sont pas élus : le président recrute les personnes qu'il juge les plus compétentes pour diriger les différents ministères et soumet leur candidature au Congrès pour approbation.
A défaut de changer radicalement notre système politique, rien n'empêche d'utiliser certaines marges de manoeuvre qu'il nous confère; l'une de celles-ci est la création de sociétés d'État ou d'agences. Le gouvernement Charest l'a fait avec l'Agence du revenu et c'était une sage décision. Mme Marois annonce la même chose aux Transports et c'est une excellente nouvelle.
Dans le cas d'une société d'État ou d'une agence, le gouvernement en nomme le président et les membres du conseil d'administration. Celle-ci engage ses effectifs, définit leurs conditions de travail, établit sa planification, mène ses activités et périodiquement se présente en commission parlementaire pour répondre de son mandat aux élus.
Une société d'État est moins soumise à toutes sortes de contraintes et d'agendas politiques nuisibles aux activités du secteur. Ce statut permet d'avoir continuité, cohérence et imputabilité. Celui-ci éloigne aussi les décisions du périmètre trop partisan et évite le favoritisme en faveur des comtés ayant voté du « bon bord ».
Lors du dépôt de son rapport sur le viaduc de la Concorde, Pierre Marc Johnson avait avancé l'hypothèse de créer une société d'État pour l'entretien de nos routes avec des sources de revenus dédiées. La suggestion est tombée dans l'oubli. Pas facile pour les politiciens et leur garde rapprochée de lâcher prise! Pourtant, cette formule est implantée en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Zélande et ailleurs.
Que serait aujourd'hui Hydro-Québec si elle n'avait toujours été qu'un gros secteur du Ministère des Ressources naturelles? Il faudrait sûrement s'inquiéter de la solidité de nos barrages... Et puis Thierry Vandal peut se consacrer à ses obligations : il n'a pas à se soucier d'être réélu!