Je pédale! Parfois sur mon vélo, mais le plus souvent pour passer à travers la vie. Il faut faire vite, parce que le temps passe vite. Il y a des jours où j'ai le vent dans le dos. Tout paraît facile. La vie est belle. Immanquablement, je me retrouve face à ce même vent. Soudainement, il devient pénible. Le vent que j'aime tant quand il chasse les moustiques ou qu'il me rafraîchit pendant la canicule devient mon ennemi.

J'ai parfois l'impression de pédaler dans le vide. Ce qui est encore plus éprouvant que de monter une côte abrupte. Parce qu'on n'en voit pas la fin. Que d'énergie perdue à s'agiter en vain!

Je relis des bribes du rapport de la Commission d'étude sur les universités remis au gouvernement du Québec le 31 mai 1979 après deux ans de travaux. Sauf pour les statistiques auxquelles il faut aujourd'hui ajouter quelques 0, je garde l'affreuse impression qu'on a pédalé dans le vide pendant plus de 30 ans. Le conflit étudiant actuel aborde les mêmes problématiques qui ont été éludées pendant toutes ces années. Passer à côté des vrais problèmes, faire de longs détours pour se retrouver au point de départ, c'est non seulement épuisant, mais décourageant.

Je me sens comme si j'arrivais au bout d'une longue randonnée en vélo. Épuisé, j'aperçois au loin de gros nuages noirs. Un orage violent se profile à l'horizon. Je pédale encore et encore, mais le vent se met de la partie comme dans les pires tempêtes. Je veux me mettre à l'abri, mais je ne suis quand même pas pour me réfugier sous un arbre pendant l'orage. Le temps presse. Le temps ne semble pas vouloir arranger les choses. Il joue contre moi.

Que disait la Commission d'étude sur les universités, il y a 30 ans? Elle posait à peu près les mêmes questions que celles qui sont aujourd'hui débattues. Elle avait fait des constats qu'on retrouve dans le débat actuel. La transparence du fonctionnement des universités en prenait un sérieux coup. Le gel des droits de scolarité était loin de favoriser l'accessibilité. La commission proposait plutôt de financer directement les étudiants par des bourses visant l'accessibilité des classes défavorisées au lieu du financement public des étudiants des classes aisées qui accaparaient l'appareil universitaire.

Il y avait surtout de fort belles paroles sur ce que devrait être l'université. Le rapport reprenait à son compte une proposition du comité d'étude du Conseil des universités du Québec sur les objectifs de l'enseignement supérieur, soulignant le sens et l'importance de la fonction sociale de l'université. Ce rapport proposait que « l'objectif majeur de l'enseignement universitaire québécois durant la prochaine décennie soit d'apporter une contribution significative et qualitative au développement économique, social et culturel du Québec ».

Le comité d'étude sur l'université et la société québécoise de la Commission affirmait (p. 254-255 de son rapport) que la dynamique de l'époque s'appuyait sur la règle de la concentration des bénéfices et de la distribution du fardeau : « un peu plus d'impôt sur le revenu pour la grande majorité, beaucoup d'éducation supérieure pour quelques-uns. »

Le comité allait plus loin en affirmant que le dogme de l'égalité n'était qu'une intention, un voeu, et que dans les faits « les plus aisés ne paient pas le vrai prix de ce qu'ils consomment et que le reste de la population paie la différence ». C'était un constat pour le moins sévère, mais « il nous semble fondé et lourd de conséquences si l'on vise réellement l'égalité des chances », poursuit le rapport du comité.

Il a fallu deux mois de grève étudiante pour que le gouvernement bonifie réellement le programme des prêts et bourses. Et un autre mois d'obstination sur des virgules sans que rien ne bouge. Pendant ce temps, l'orage grondait. C'est vraiment ce qu'on appelle pédaler dans le vide, sans égard à la catastrophe qui s'abat maintenant sur des dizaines de milliers d'étudiants.