J'ai lu votre lettre juste au moment où je finissais de lire un article intitulé «Why Women Still Can't Have It All» par Anne-Marie Slaughter (The Atlantic, juillet-aout 2012).

Ce qui m'a fait sourire, c'est que votre réaction est exactement celle décrite par l'auteure. Il y a quelques années, Mme Slaughter pensait comme vous. Avocate de formation, professeure, conférencière, auteure et mère de deux enfants, elle regardait avec une certaine ironie les femmes qui réduisaient leur rythme de travail pour prendre soin de leurs enfants. Comme vous, elle croyait possible de tout avoir du moment que l'on fait les bons choix. C'est-à-dire déléguer plusieurs aspects de sa vie et avoir de la drive.

En 2009, Mme Slaughter s'est fait offrir un poste de haut niveau au gouvernement américain. Elle devait alors être au bureau de 8h à 18h, sans possibilité de travailler à la maison. Son fils de 14 ans était alors en crise d'adolescence. Après deux ans, elle a abandonné son poste.

Anne-Marie Slaughter a réalisé que oui, lorsqu'on fait partie d'une classe de femmes privilégiées (c'est-à-dire lorsqu'on peut gérer son horaire et lorsqu'on a l'argent pour déléguer certaines tâches de la maison) ou lorsqu'on est une femme d'exception (intelligence et endurance supérieure à la moyenne) on peut y arriver. Mais ce n'est pas le cas de la majorité des femmes. Pour elles, il n'y pas de choix. Pour travailler, elles doivent être sur les lieux du travail. La majorité d'entre nous ne gagnons pas assez pour déléguer la préparation des repas, le ménage et les devoirs.

Selon Mme Slaughter, si l'on veut que plus de femmes réussissent dans de hautes fonctions, il faudra que les mentalités changent. Pour ce faire, les femmes d'avant-plan devront cesser de raconter cette demi-vérité selon laquelle tout est possible. Plus les gens vont admettre que la conciliation travail-famille ne se fait pas sans difficulté et sans deuils, plus le milieu du travail sera forcé de trouver des solutions.

L'auteure de l'article propose plusieurs pistes de solution. L'horaire des écoles devrait changer pour mieux refléter celui des travailleurs. Lorsque c'est possible, le travail à la maison devrait être privilégié. Au lieu de voir les enfants comme un obstacle au travail, il faudrait valoriser les parents, des gens qui savent bien gérer leur temps et leurs priorités. Enfin, il faudrait comprendre que, comme l'ont démontré plusieurs études, un nombre élevé d'heures de travail n'est pas toujours synonyme d'un rendement et d'une productivité supérieurs.

Pour ma part, j'ai quatre enfants. À la suite de compressions dans le milieu de la recherche à Montréal, j'occupe maintenant un poste dont l'horaire est peu flexible. Après un an d'heures supplémentaires (départ de la maison à 5h15 et retour à 17h30-18h) pour un salaire moyen, et bien que mon conjoint fasse plus que sa part à la maison, j'ai craqué.

Depuis, je réalise que deux heures par jour pour s'occuper des enfants n'était pas suffisant pour prétendre que je les éduquais. Les enfants ne veulent pas du temps de qualité, mais du temps, point. Malheureusement, c'est seulement lorsque nos enfants seront adultes qu'on saura si nos choix de vie étaient les bons pour eux.