J'ai passé ma jeunesse avec la «non-violence» tatouée sur le coeur. Je me suis rendu à la maison paternelle de Martin Luther King dans un quartier afro-américain d'Atlanta, j'ai traversé le Québec à bicyclette pour la protection de l'enfance et surtout, grâce à la bourse du doyen de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, j'ai passé l'été 1986 à pratiquer la médecine à Ahmadabad, ville où Gandhi a fondé l'Ashram de Sabarmati en 1915.

J'ai visité ce lieu qui a été à la base du mouvement pour l'indépendance de l'Inde, finalement acquise en 1948. J'ai beaucoup appris sur Gandhi, la non-violence et la désobéissance civile. J'aimerais simplement rappeler que Gandhi a participé au développement des villages indiens par la construction d'écoles et d'hôpitaux et qu'il n'a jamais participé à des actes de destruction. Après le massacre d'Amritsar, lors duquel l'armée britannique a fusillé des centaines de civils hindous non armés et pacifiques, il a condamné les émeutes indiennes qui ont suivi. Il n'a pas parlé de brutalité militaire, mais il a offert ses condoléances aux familles des victimes britanniques de ces émeutes. Enfin, son autobiographie s'intitule non pas «Comment nous avons expulsé les Britanniques», mais bien Mes expériences de vérité.

Aujourd'hui, j'admire encore plus Gandhi pour sa grande lucidité: en effet, ce sont les faux discours qui frappent le plus les gens en quête de vérité. Comment peut-on croire que l'on revendique un meilleur partage des richesses lorsqu'une partie de cette richesse est dilapidée chaque jour par ces revendicateurs? Comment croire au discours de la justice sociale lorsque l'on sait tous que c'est au Québec que l'accès à l'université est le plus facile en Amérique du Nord grâce à la générosité de tous les Québécois? Enfin, comment peut-on croire que c'est un mouvement inspiré de l'oeuvre de Gandhi alors que celui-ci demanderait certainement que chacun condamne la violence, que chacun ait de bons mots pour son adversaire et que chacun recherche profondément la Vérité?

Au milieu de l'été 1986, à Ahmadabad, les conflits entre hindous et musulmans ont refait surface, le Gujarat étant un état limitrophe au Pakistan. Un beau matin, le pont que je traversais pour me rendre à l'hôpital était jonché de cadavres. Croyez-le ou non, dans le fief de Gandhi, dans cette ville importante du jaïnisme, c'est la police qui a rétabli l'ordre. En Inde comme dans toutes les démocraties, en effet, la police joue un rôle essentiel.