La crise européenne s'intensifie. Les tensions sur les marchés financiers ont atteint de nouveaux sommets. À titre d'illustration, la prime de risque des bons du Trésor espagnol atteint un nouveau pic, tandis que la Grande-Bretagne, qui a conservé sa propre devise, bénéficie des taux les plus faibles de son histoire.

L'économie de la zone euro décline, alors que l'Allemagne connaît un boom. Autrement dit, la divergence s'amplifie. Les dynamiques politiques et sociales poussent elles aussi à la désintégration. Ainsi que le montrent les résultats des élections récentes, l'opinion publique est de plus en plus rétive à l'austérité, et cette tendance va probablement persister jusqu'à ce qu'un changement de politique intervienne. Inévitablement, quelque chose va céder.

À mon avis, les autorités disposent d'une fenêtre de trois mois durant laquelle elles peuvent encore corriger leurs erreurs et inverser la tendance. Cela suppose des mesures exceptionnelles pour revenir à une situation proche de la normale, tout en respectant les traités existants. Ces derniers pourraient être réexaminés ultérieurement dans une atmosphère plus calme, de manière à éviter la réapparition des déséquilibres.

Il est difficile, mais pas impossible d'identifier certaines de ces mesures répondant à des exigences très strictes. Elles doivent permettre de traiter simultanément le problème de la dette souveraine et celui du système bancaire, tout en réduisant les écarts de compétitivité.

La zone euro a besoin d'une union bancaire: un projet européen de garantie des dépôts pour contenir la fuite de capitaux, une source européenne pour financer la recapitalisation des banques, ainsi qu'une supervision et une régulation au niveau de l'ensemble de la zone euro. Les pays lourdement endettés doivent bénéficier d'un allégement des coûts financiers. Cela peut se faire de différentes manières, mais la participation active de l'Allemagne est indispensable.

C'est là que le bât blesse. L'Allemagne travaille d'arrache-pied pour établir un ensemble de propositions à temps pour le sommet de l'UE fin juin, mais il semble qu'elle se contentera d'une plateforme minimale acceptable par tous - autrement dit une fois de plus une solution seulement à court terme.

Nous nous trouvons à un point d'inflexion. La crise grecque pourrait atteindre son paroxysme à l'automne, même si les élections débouchent sur un gouvernement respectueux des accords signés avec les créanciers de la Grèce. À ce moment-là, l'économie allemande s'affaiblira, il sera donc plus difficile à la chancelière Angela Merkel de persuader l'opinion publique allemande d'accepter davantage de responsabilités au niveau européen.

À moins d'un accident, comme la faillite de Lehman Brothers, l'Allemagne va probablement en faire assez pour sauver l'euro, mais l'UE évoluera vers quelque chose de très différent de la société ouverte qui a soulevé les imaginations dans le passé. La division entre pays créanciers et débiteurs s'enracinera, avec l'Allemagne en position dominante et la périphérie en position d'arrière-pays en dépression économique.

Cela va inévitablement soulever des soupçons quant au rôle de l'Allemagne en Europe - mais toute comparaison avec l'Allemagne du passé est totalement inappropriée. La situation actuelle n'est pas due à un plan délibéré, mais à son absence.

On sait ce dont l'Europe a besoin: d'une autorité budgétaire européenne capable et animée de la volonté de réduire le fardeau de la dette de la périphérie, ainsi que d'une union bancaire. L'allégement de la dette pourrait prendre d'autres formes que des euro-obligations et serait conditionné au respect du pacte budgétaire par les pays débiteurs. Annuler en totalité ou partiellement cet allègement en cas de non-respect serait une protection efficace contre le risque subjectif.

Il dépend de l'Allemagne d'assumer les responsabilités de leadership qui lui incombent en raison de son succès.

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