Le 25 mai, le ministre de la Santé et des services sociaux, Yves Bolduc, a annoncé la mise sur pied d'une aide annuelle de 5 millions pour renforcer les structures d'aide aux personnes en situation d'itinérance et souffrant de problèmes de santé mentale. Cette mesure se traduira par le déploiement, notamment, d'une équipe psychosociale d'urgence formée d'un policier et d'un intervenant social, deux équipes supplémentaires de « suivi intensif dans le milieu » et l'ouverture de places d'hébergement de longue durée.

Si le maire de Montréal, Gérald Tremblay, « n'a pas tari d'éloges » envers l'annonce du ministre Bolduc, celle-ci ne manque pas de faire écho à la décision moins rassurante cette fois du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui, dans un bref communiqué, passé presque inaperçu une semaine plus tôt, a fait savoir qu'aucune accusation ne serait portée contre les policiers impliqués dans la mort de Mario Hamel et Patrick Limoges. Aucun détail n'accompagnait cette décision du DPCP, qui fut prise à la suite de l'examen du rapport que lui avait remis la Sûreté du Québec (SQ) en octobre dernier, après avoir mené une enquête sur les circonstances de l'intervention policière qui s'était conclue par la mort des deux hommes.

Bien que la réalité professionnelle des policiers comporte indéniablement un stress d'une grande intensité, vu entre autres l'imprévisibilité des situations où ils interviennent et les risques qu'elles comportent, les  incidents survenus dans les derniers mois nous laissent complètement abasourdis et, aujourd'hui, la possibilité qu'on ne leur donne aucune suite nous inquiète au plus haut point.

Mario Hamel souffrait d'un trouble bipolaire et était connu des policiers qui patrouillent régulièrement le périmètre du centre-ville où il a été abattu. Il passait la plupart de son temps à mendier sur la rue. Il était aussi connu d'Urgence Psychiatrie-Justice (UPS-J), un service offert dès 2001 par le CSSS Jeanne-Mance aux policiers intervenant auprès de personnes présentant un problème de santé mentale. L'annonce du ministre Bolduc concernant le déploiement d'une équipe psychosociale d'urgence n'est donc pas une initiative nouvelle. Si ce dispositif a aidé à prévenir la judiciarisation abusive des personnes en situation de détresse psychique et d'itinérance, et a permis de mieux former et sensibiliser le corps policier aux réalités qu'elles vivent, cela n'a pas pour autant empêché le recours à des balles et la mort de Mario Hamel.

Le traitement social inacceptable que continue de faire l'objet Mario Hamel, avec l'annonce qu'aucune accusation ne sera portée contre les policiers impliqués dans son décès, nous amène à nous demander si, comme groupe social, les policiers ne sont pas surprotégés par la loi?

En janvier dernier, on rapportait qu'au Québec, depuis 12 ans, sur les 339 enquêtes qui ont été menées pour évaluer les actes d'homicides ou de blessures graves infligées sur des civils par des policiers, seulement trois accusations criminelles avaient été portées contre ces derniers. Aujourd'hui, le cas de Mario Hamel s'ajoute au total des interventions policières controversées, impliquant blessures graves ou homicides, qui n'ont fait l'objet d'aucune poursuite. Cette apparence d'impunité ne risque-t-elle pas de banaliser la violence policière ?

Le mandat de maintien de la paix et de l'ordre des policiers et la gestion des risques qu'ils encourent ne devraient pas se faire au mépris des droits des citoyens qui, eux, ne disposent pas des mêmes moyens (politiques, médiatiques, syndicaux, etc.) pour se défendre.

Ainsi, en parallèle au renforcement des effectifs de prévention, il nous apparaît important de ne pas passer sous silence la question de l'apparence d'impunité dont les policiers impliqués dans de tels drames humains semblent jouir.  Il n'a rarement paru aussi urgent de se questionner comme société sur les mécanismes institutionnels qui existent, certes, en amont, mais aussi en aval, pour condamner les possibles actes de bavures commis par les policiers dans leur fonction. Cela aurait le mérite de rassurer les citoyens du fait qu'ils vivent toujours dans une société démocratique et respectueuse des droits des personnes.

Henri Dorvil, professeur, École de travail social, UQAM; Carolyne Grimard, enseignante-chercheure, Université de Fribourg; Jacques Hébert, professeur, École de travail social, UQAM; Laurie Kirouac, chargée de cours et chercheure, UQAM; Nicolas Moreau, professeur, Service social, Université d'Ottawa; Dahlia Namian, postdoctorante en sociologie; Marcelo Otero, professeur, Sociologie, UQAM.