Les étudiants qui luttent contre la hausse des droits de scolarité n'ont pas le choix de s'engager dans une bataille pour l'opinion publique s'ils veulent avoir une chance de faire reculer le gouvernement. Aussi doivent-ils maintenant s'adresser à «Joe le plombier» pour marquer un maximum de points.

Or, certaines des stratégies rhétoriques utilisées jusqu'à maintenant ont plus de chances de rallier Joe le plombier à la position gouvernementale. Nous sommes d'avis que jouer la carte de la gratuité scolaire et de l'endettement étudiant n'est pas une bonne stratégie. Lorsqu'on parle de gratuité, les lumières qui s'allument dans la tête de Joe sont celles de l'irréalisme («C'est utopique..., on ne peut pas négocier avec des gens aussi irréalistes!») et celles du parasitage («Ils veulent qu'on paye pour eux!»). Miser sur l'endettement étudiant allume également ce genre de lumières: «Tout le monde s'endette et vous voulez être des exceptions, vous qui allez gagner plus que les autres!» Voilà ce qu'il faut éviter.

Nous suggérons de mettre de l'avant la notion de paiement différé: «Nous, étudiants, voulons étudier, mais souhaitons payer plus tard, au moment où nous aurons des liquidités». Les modalités de paiement peuvent être discutées. Demander de payer plus d'impôt est un exemple. Mais on peut aussi opter pour une formule qui ajoute à l'impôt sur le revenu le paiement de droits de scolarité déterminé par les revenus que le diplôme permet d'obtenir, entre autres choses. Les avantages rhétoriques de l'usage de la notion de paiement différé sont énormes. Joe le plombier peut facilement comprendre cette notion et accepter son bien-fondé. Il fait lui-même usage de formule de paiement différé pour acquérir toutes sortes de biens (maison, auto, télévision, etc.). Cela ne signifie pas que Joe le plombier ait une conception «marchande» de l'éducation - en fait, à peu près personne n'a ce genre de conception, malgré ce qu'on en dit. Or, même si, pour Joe, l'éducation était vraiment un bien de consommation, rien n'implique que les étudiants devraient payer au moment où ils consomment ce bien, et non après. Cela, Joe est capable de le comprendre.

Parler en termes de paiement différé semble offrir une alternative originale, mais avec un précédent: l'Australie a, en 1989, opté pour une formule de paiement différé, modulé en fonction des programmes d'études et des besoins de la société.

La notion de paiement différé reste compatible avec les principes moraux de Joe le plombier ainsi que ses principes d'efficience sociale. En effet, Joe est sensible au problème de l'accessibilité parce qu'il adhère au principe d'égalité des chances, et qu'il pense qu'on doit exploiter au mieux les talents dans la société. Augmenter les droits de scolarité payables au moment des études met des bâtons dans les roues de ceux qui n'ont pas de liquidités, mais qui ont du talent, et ouvre des places à ceux qui ont moins de talent, mais qui disposent de liquidités. Joe le plombier a des principes moraux que les étudiants devraient cibler explicitement, mais également des intérêts qui peuvent faire pencher la balance. Joe ne veut pas avoir affaire à des médecins, à des ingénieurs, à des comptables et à des pharmaciens qui ont été sélectionnés moins pour leur talent qu'en fonction des liquidités dont ils, ou leurs parents, disposaient alors.

Les étudiants ont tout avantage à recentrer le débat public sur la question du «quand doit-on payer?» plutôt que celle du «qui doit payer?». Ils auront beaucoup plus de chances de rallier le restant de la population à leur cause.