La copine de mon frère me regarda d'un air hébété. Harvard? Mais combien ça va te coûter? Le prix, c'est 45 000$ par année pour la maîtrise à la Harvard Kennedy School. En ajoutant les frais indirects - logement, épicerie, etc. -, la facture s'élève à 70 000$. Pour étudier au collège, il en coûte 54 500$ par an, logé et nourri. Le programme généraliste dure quatre ans. Prohibitif? Assurément. Malgré tout, les candidats se bousculent aux portes... pour mieux y être refoulés. 34 000 candidatures ont été soumises pour 2012-2013. Le 29 mars, Harvard a envoyé 2000 lettres d'acceptation. Pour chaque candidat qui a reçu une bonne nouvelle, 16 ont été déçus.

Une telle ruée peut surprendre compte tenu de la situation économique aux États-Unis. En 2011, la dette combinée des diplômés américains a dépassé la somme des soldes impayés de cartes de crédit, une première. Harvard en tient compte. Elle fournit de l'aide financière à six familles sur 10 et les 20% dont le revenu ne dépasse pas 65 000$ ne paieront presque rien.

Pourquoi Harvard? Le prestige et la tradition d'excellence. Harvard a produit plus d'une quarantaine de prix Nobel, huit présidents américains - dont Barack Obama, diplômé de la faculté de droit -, deux premiers ministres canadiens, Mackenzie King et Pierre Trudeau et une multitude d'entrepreneurs à l'origine de Facebook, LinkedIn, Staples... et la liste s'allonge.

Librairies somptueuses, équipement informatique de pointe, 2500 professeurs pour 20 000 élèves, un ratio d'un pour 8. Harvard est le théâtre d'un enchaînement vertueux. Les meilleurs professeurs veulent y enseigner pour les ressources et la qualité des étudiants. Tout le monde veut se dépasser. La charge de travail est imposante, presque décourageante. C'est voulu. La barre est haute et on s'attend tous à bosser. Les salles de cours sont bondées sur l'heure du midi. Les cours d'abord et le lunch ensuite, si on a le temps.

Un produit endommagé qui coûtera plus cher

L'entrepreneur philanthrope Andrew Carnegie a dit que dans la vie, tout ce qui a de l'importance mérite qu'on lutte pour l'obtenir. C'est vrai pour un diplôme universitaire. Son obtention doit nécessiter travail acharné et sacrifices, quels qu'ils soient. L'exemple de Harvard est au sommet de la pyramide, mais il démontre ce qui peut être accompli avec une politique d'admission exigeante combinée à une aide financière considérable.

Le Québec compte beaucoup d'universités et les politiques d'admission varient. Un resserrement s'impose. L'accroissement spectaculaire de la fréquentation est l'un des bienfaits de la Révolution tranquille, mais elle a un prix, la surabondance des diplômes. Le diplôme de droit ou de sciences sociales ne génère souvent plus qu'un haussement d'épaules chez le recruteur. Plusieurs étudiants sont frustrés d'avoir investi temps et argent dans leur diplôme pour finir chez Starbucks. La surqualification touche quatre diplômés sur 10. On compte trop de candidats de même formation incapables de percer dans leur domaine. La dévalorisation de leur diplôme est inévitable.

Doit-on suggérer aux étudiants d'y penser à deux fois avant d'entreprendre des études universitaires? Difficile de donner un tel conseil. Un étudiant qui a la passion de la philosophie ou de l'histoire doit suivre sa muse. Mais il devra ajuster ses attentes. Ignorer ou déplorer les mécanismes de l'offre et de la demande ne va pas les empêcher de s'appliquer.

En trame de fond de tout cela, la qualité des études de baccalauréat continue de décliner. Les classes grossissent au détriment de l'encadrement individuel, les charges de cours se multiplient, les exigences des cours chutent, réduisant le temps nécessaire pour obtenir des crédits. Pour acheter la paix, on compense l'étudiant avec l'inflation des notes.

La hausse des droits de scolarité survient au moment où le produit se détériore et l'espoir d'être rémunéré à sa juste valeur faiblit. C'est la moindre des choses de la part du législateur d'être plus généreux en prêts et bourses. La majoration forcera l'étudiant à réfléchir davantage sur son choix de carrière, les erreurs d'aiguillage devenant plus coûteuses.

Le déclin du baccalauréat et la surqualification frappent aussi les États-Unis. Un diplômé sur trois n'occupe pas l'emploi pour lequel il a étudié. Malgré cela, les demandes d'admission dans les universités privées battent des records. Beaucoup d'Américains pensent que la solution passe par de meilleurs diplômes. L'Université Harvard répond en utilisant ses ressources considérables pour accueillir ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats, peu importe leur revenu. Apprendra-t-on des meilleurs?