Le libre-échange à la carte fleurit alors que la gouvernance mondiale s'essouffle.

D'échec en échec, les sommets internationaux à grand déploiement médiatique déçoivent. Ainsi la conférence de Durban (COP 17) sur les changements climatiques, débutée la semaine dernière, ne relancera pas la négociation sur la phase 2 du protocole de Kyoto.

De même, la prochaine rencontre ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève, qui fera l'autopsie du cycle de Doha sur la libéralisation des échanges, ne produira pas le consensus nécessaire pour relancer les discussions. C'est tout juste si on a célébré l'admission de la Russie à l'OMC.

Si la gouvernance mondiale s'essouffle, ce n'est pas qu'un effet de conjoncture. Au-delà du ralentissement de l'économie internationale et des changements attendus dans les directions politiques (Chine, France, États-Unis), c'est le modèle néolibéral, qui affirme la supériorité du marché sur l'intervention de l'État comme instrument d'allocation des ressources, qui est ouvertement renié par ceux-là mêmes qui l'on conçu. Qu'il repose en paix.

Joseph Stiglitz, critique du Fonds monétaire international, qui se présentait en 2002 comme un rebelle égaré à la Banque mondiale, a été rattrapé par le peloton des économistes patentés. Les professions de foi dénonçant les abus qui ont accompagné l'ouverture des marchés financiers et la libéralisation des échanges se multiplient.

Après nous avoir ballotés de crise en crise, ces experts conviennent désormais que la croissance stable passe par un contrôle ferme sur les flux financiers et une intervention ciblée sur le commerce et l'investissement. Il existe, reconnaissent-ils, une diversité de capitalismes, et admettent l'absence de modèle unique d'intervention. Des institutions nationales robustes sont indispensables pour contrer les risques qu'infligent à nos économies les changements d'humeur des marchés. Ras-le-bol du capitalisme spéculatif. La discipline que la démocratie impose aux gouvernements est préférable au laisser-faire mondialisé. Non, le monde n'est pas plat, la volonté des peuples n'est pas prête à être fédérée dans un parlement planétaire dominé par des banquiers.

Dani Rodrik développe cette thèse hétérodoxe dans son dernier livre (The Globalization Paradox, 2011). Marchés et interventions gouvernementales doivent se soutenir. Pour être plus performants écrit-il, les marchés ont besoin d'institutions fortes. Or, à l'exception des avancées importantes dans le domaine de la justice pénale, la régulation internationale manque de fermeté, les moyens de sanction sont limités, si bien que les États se dérobent facilement, en toute impunité, à leurs engagements.

De conférence en sommet, les divergences exacerbées ont eu raison de la recherche de consensus. Il apparaît que les finesses du ballet diplomatique ne sont pas adaptées aux complexités de nos interdépendances modernes. Il suffit pour s'en convaincre de lire le très subtil roman de Francis Walder, Saint-Germain ou la négociation.

Ce n'est pas pour autant le retour à l'anarchie. Loin de renier la libéralisation du commerce, les gouvernements multiplient les accords commerciaux bilatéraux. Le Congrès américain, ce parangon de protectionnisme, vient d'approuver trois accords commerciaux, avec la Corée du Sud, le Panama et le Costa Rica. Le gouvernement du Canada est engagé dans des négociations commerciales avec une douzaine de pays (dont l'Union européenne et l'Inde) et une vingtaine d'accords de protection des investissements. C'est le libre-échange à la carte.

Il en est de même des changements climatiques. Les deux plus grands pays émetteurs de GES (les États-Unis et la Chine) ne sont pas signataires de Kyoto. C'est pourtant dans ces pays que la production d'énergies renouvelables a le plus progressé. La contestation altermondialiste n'a pas lâché prise. Plus efficace, elle s'investit dans les causes domestiques. L'action locale l'emporte; c'est le retour de l'État-nation.