L'intervention d'Ottawa alimente la culture négative dans les relations de travail à Air Canada.

Quand les transporteurs à bas coûts ont commencé à se multiplier dans les années 80, ils ont changé les règles du jeu dans le transport aérien. Non seulement leurs tarifs étaient moins élevés, mais la cordialité du personnel rendait l'expérience de vol plus agréable. L'analyse de leur modèle d'affaires indiquait que ces transporteurs se caractérisaient par une culture d'entreprise très positive, à laquelle les employés s'identifiaient. La philosophie de gestion du PDG de Southwest Airlines, le premier low cost à connaître le succès, était la suivante: si les employés se sentent bien traités, à leur tour ils traiteront bien les passagers. Malgré le caractère paternaliste de cette approche, elle semblait efficace pour assurer la qualité du service aérien.

Air Canada a une longue histoire de relations de travail peu harmonieuses. La fusion avec Canadian Airlines qui a créé deux classes d'employés fût une blessure longue à cicatriser. La restructuration sous la protection des tribunaux a obligé les employés à faire des concessions importantes pour permettre à Air Canada de sortir de l'exercice avec une structure de coût moins lourde. Dans un tel contexte, on comprend que l'augmentation récente du salaire des hauts dirigeants (et les bénéfices de certains grands financiers) soit frustrante pour les employés. Dans une moindre mesure, elle l'est également pour les passagers forcés de payer davantage pour enregistrer leurs valises. À cette longue histoire de relations de travail difficiles s'ajoute le conflit actuel entre employés et employeur et également entre employés et dirigeants syndicaux, conflit exacerbé par l'implication du gouvernement Harper.

Il est clair que l'attitude volontaire du gouvernement Harper plaît à une grande partie de l'électorat, qui se demande comment des employés assez chanceux pour avoir du travail en cette période d'incertitude économique peuvent oser brandir la menace de la grève. En s'immisçant dans ce conflit de travail comme si Air Canada était encore une société de la couronne, le gouvernement Harper gagne des votes mais il cause un tort certain à la culture organisationnelle d'Air Canada. La culture de toute entreprise est faite d'histoires, de mythes, de symboles et de rituels. Les gestionnaires avertis savent que la culture est un levier puissant pour favoriser l'atteinte des objectifs de l'entreprise et améliorer la performance de celle-ci. Ces gestionnaires savent aussi qu'ils ne peuvent pas développer cette culture avec leur seule autorité, par exemple en faisant circuler une note interne pour enjoindre le personnel à sourire aux clients. Au mieux, ils peuvent tenter d'orienter la culture de l'entreprise qu'ils dirigent en servant de modèles et en adoptant eux-mêmes des comportements irréprochables. Malheureusement, la réaction musclée du gouvernement fédéral s'ajoutera au répertoire d'histoires qui alimentent le sentiment d'injustice et la culture négative chez le transporteur canadien. Imaginons au contraire l'effet positif sur le moral des troupes si le PDG d'Air Canada décidait de se priver de salaire pendant un an. Il est permis de rêver...

Pendant que le gouvernement fédéral joue un rôle proactif mais peu légitime dans le conflit de travail à Air Canada, il y aurait tant à faire au chapitre de la politique aérienne. On n'a qu'à penser à la structure de propriété bancale des aéroports canadiens et aux coûts élevés de location que ceux-ci doivent payer au gouvernement fédéral, à l'écart entre les besoins financiers réels de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien et les droits pour la sécurité que les passagers doivent encore payer dix ans après les attentats de septembre 2001, ou même à l'appui dont pourraient bénéficier les petits transporteurs régionaux qui font face quotidiennement à des défis énormes (par exemple la pénurie de pilotes) les empêchant d'être une menace sérieuse pour la position quasi-monopolistique d'Air Canada dans beaucoup de régions canadiennes.