Hier, en passant sur la rue Saint-Antoine, au retour de ma journée de travail, me voilà tenté de constater de visu l'ampleur de la catastrophe sur la 720 Est.

Après avoir été saisi par l'étendue de cet affaissement de béton échoué en travers des trois voies de l'autoroute et après avoir réalisé ce qui aurait pu se transformer, à quelques heures près, en un carnage du quotidien, je parcours le reste de la scène du regard. Cette visite, bien que sommaire, me laisse avec deux questions urgentes. Il m'apparaît que l'on doit en obtenir réponses bien avant la publication d'un éventuel rapport, qui sera sans doute, comme à l'accoutumée, livré dans un an, si toutefois il y a publication (!).

Oui, nous sommes devenus cyniques, et pour cause.

Si vous y allez, vous constaterez comme moi - et ce, sans être ni ingénieur ni spécialiste en structures - que l'idée de cet ouvrage est fort simple: des paralumes (ces grands coffres de béton gaufrés) reposent chacun sur deux poutres (qui traversent la largeur de l'autoroute), lesquelles reposent à leur tour, et à chacune de leurs extrémités, sur des murs de soutènement. Un gros LEGO... de plusieurs tonnes.

Si, par malheur, l'une des poutres devait céder, elle entraînerait donc dans sa chute les paralumes qui se trouvent de part et d'autre de son axe, c'est-à-dire deux rangées de ces coffres gaufrés. Et c'est ce qui est arrivé. Si je vous détaille cette mécanique, c'est pour qu'il soit clair que, dans cet ouvrage, ces différents appuis sont forcément indispensables à l'intégrité de la structure, qui ne repose sur rien d'autre.

Or, un coup d'oeil rapide aux deux appuis de la poutre tombée révèle que sur le mur de soutènement sud, des ancrages (légers) ont cédé, alors que l'appui de la poutre à cet endroit paraît pourtant normal, mais que, par ailleurs, sur le mur nord (le mur mitoyen d'avec la travée ouest de l'autoroute), l'appui, lui, est pratiquement inexistant...

À cet endroit, on voit nettement que le mur a été grugé jusqu'aux treillis des tiges d'acier (dans le mur de soutènement), soit par la corrosion, soit par des travaux d'entretien: le point d'appui a été réduit à rien, et la gravité a tout naturellement fait son oeuvre.

Désespérément simple, désespérant navrant, car si moi, muni de mon simple bon sens, je peux constater à l'oeil nu l'état du seuil d'appui («pratiquement inexistant»), comment se fait-il qu'une inspection visuelle experte n'ait pas révélé cette usure dramatique (s'il s'agit d'érosion naturelle)? Ou, et c'est tout aussi grave, comment peut-on permettre des travaux qui affaiblissent un appui aussi fondamental - jusqu'à le réduire à quelques millimètres -, risquant ainsi la vie des ouvriers qui jouent du marteau piqueur dans le socle d'une masse de 25 tonnes, et se moquant par le fait même de la vie et de la confiance de tous ces automobilistes à qui les instances (!) martèlent en choeur cette phrase qui s'écroule désormais avec un pitoyable fracas: «Il n'y a aucun compromis avec la sécurité au Québec.»