Dans plusieurs médias torontois, les partisans du projet fédéral de créer une commission unique de valeurs mobilières font valoir continuellement leur point de vue. Il est temps que la communauté d'affaires du Québec, et surtout ses principaux leaders, hausse la voix.

Le contexte des élections générales est le moment propice pour remettre en question ce projet. Le Québec risque sinon d'être entièrement à la merci de la décision future de la Cour suprême sur ce sujet, l'actuel gouvernement ayant déjà annoncé son intention d'aller de l'avant. Nous aurons ainsi cédé face à la tendance naturelle de Bay Street de chercher à centraliser le secteur financier canadien.

Lorsqu'on discute en privé avec les dirigeants des grandes entreprises québécoises, dans le secteur financier ou dans d'autres secteurs, il est clair que le projet du gouvernement fédéral en inquiète plusieurs. Pourtant, peu de ces leaders d'affaires ont interpellé récemment l'actuel ministre des Finances, ou les chefs des principaux partis politiques, à ce sujet. Il pourrait être efficace de le faire soit de manière privée, soit de manière publique, mais il faut passer le message. Une lettre ouverte a été adressée au ministre Jim Flaherty en mai dernier, signée par des membres influents du Québec inc., au moment où le projet a été annoncé. C'était une première réaction utile, mais il ne faut pas relâcher la pression, l'enjeu est trop important.

Actuellement, six provinces s'opposent au projet: le Québec, l'Alberta, la Colombie-Britannique, le Manitoba, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick. Deux provinces, l'Alberta et le Québec, ont entamé des recours devant leurs tribunaux respectifs afin de confirmer que la réglementation des valeurs mobilières est bien de juridiction provinciale. La Cour d'appel de l'Alberta et la Cour d'appel du Québec viennent d'ailleurs de rendre des jugements en ce sens. À la demande du gouvernement fédéral, la Cour suprême étudiera la question ce printemps.

La principale faille du projet d'une commission nationale est qu'il s'agit d'un changement inutile. Le système actuel fonctionne très bien. Les ententes d'harmonisation entre les réglementations des différentes provinces permettent d'atteindre le même objectif qu'une commission nationale, mais de façon efficace. Par exemple, l'harmonisation des règles pour les compagnies d'assurances, ou pour les entreprises qui souhaitent s'inscrire en Bourse, assure une bonne fluidité de système.

À titre de comparaison, ce n'est pas pour rien que les grandes entreprises qui travaillent dans des domaines complexes ont tendance à décentraliser leurs activités: cela permet d'être plus efficace.

La protection des investisseurs est le premier rôle des autorités réglementaires en valeurs mobilières. Rien ne garantit qu'une commission unique permettrait d'obtenir de meilleurs résultats dans la lutte contre le crime économique, bien au contraire. Dans ce domaine, la proximité joue un rôle clé. On néglige souvent le fait qu'aux États-Unis, la contribution des autorités des États est plus importante dans la résolution de crimes financiers que la contribution de l'autorité fédérale, la SEC (Securities and Exchange Commission).

Au cours des dernières années, nous avons collectivement déploré la perte de sièges sociaux d'entreprises d'importance au Québec. La disparition du siège social de l'Autorité des marchés financiers (AMF) aurait un impact encore plus dommageable et durable sur l'économie québécoise. Le cercle d'influence de cet organisme s'étend en effet à l'ensemble des entreprises de la province. Ce sont toutes les sociétés publiques, toutes les sociétés qui souhaitent le devenir, tous les présidents d'entreprise, tous les chefs de contentieux qui seraient touchés par cet éloignement du centre de décision. En particulier, des firmes de services ont développé une expertise dans des domaines pointus en finance, en droit et en comptabilité. Des emplois de haut niveau déménageront.

Enfin, il ne s'agit pas ici d'un débat entre fédéralistes et souverainistes. Comme peuvent régulièrement le constater les gens d'affaires québécois qui travaillent à l'échelle canadienne, les décideurs de Bay Street font, eux, preuve d'un grand nationalisme par rapport à leur province, lorsqu'il s'agit de rapatrier des décisions de nature financière. Aussi, notre nationalisme ne doit pas s'exprimer uniquement dans nos salons le samedi soir, mais aussi dans les salles de conseils d'administration.