L'année 2010 s'est terminée, dans le monde médical québécois, sur fond d'affrontement entre les 2 grandes fédérations médicales, l'avant-scène étant occupée encore une fois par des questions de répartition monétaire et de négociations. Quoique ces questions doivent êtres résolues, l'importance accordée à leur traitement laisse à penser que nous, médecins,  n'avons pas d'autres priorité que celle nous assurer un comfortable revenu. C'est regrettable, car nous avons tellement d'autres préoccupations et souhaitons devenir des acteurs de plus en plus présents, crédibles et écoutés sur toutes les questions relatives au système de santé. Pour y arriver cependant nous allons devoir relever certains défis.

Pour la médecine de première ligne, surtout dans la grande couronne de Montréal, l'un de ces défis est celui de l'accès au soins. On a invoqué dans le récent débat la faible productivité pour expliquer la source du mal, surtout que nous avons un ratio médecin-population aussi favorable que, par exempl.e l'Ontario où l'accès semble beaucoup plus facile. Pourtant, tous les médecins disent qu'ils travaillent, mais travaillons-nous bien? La question se pose. Et nous avons, en tant que groupe professionnel le devoir d'y répondre, sous peine de perdre voix au chapitre.

L'un des principaux problèmes organisationnels auquel nous faisons face, qui a une répercussion directe sur l'accès, est celui de la prise en charge du patient. Celui-ci est particulièrement criant à Montréal, où la médecine se pratique souvent en silos, dans le mode entrepreneurial, pour de multiples raisons. Nous avons peu d'incitatifs pour mettre en place un système intégré de prise en charge qui permettrait au médecin de famille d'être l'intervenant principal, celui qui connaît son patient de facon privilégiée, celui à qui le patient a d'abord accès et de façon tout aussi importante celui vers qui il revient pour son suivi post consultation. C'est pour cela que le médecin de famille est formé et c'est en favorisant cette façon de pratiquer qu'on pourra revaloriser son rôle.

Il est évident que, tant du côté de la rémunération que de l'organisation des soins, la prise en charge n'est pas favorisée. La problématique s'applique à une multitude de situations, mais donnons l'exemple d'un patient en perte d'autonomie qui a eu la chance d'avoir un premier rendez-vous chez un médecin de famille. La prise en charge devrait se faire de la façon suivante : questionnaire et examen complet du patient. Passage d'un «mini-mental » pour établir une base d'évaluation des fonctions cérébrales, prescription de tests de base, y compris imagerie cérébrale pour éliminer des problèmes organiques, premier contact avec le réseau pour évaluer la fonctionalité du patient dans son milieu. Dans un deuxième temps : référence, si nécessaire, à la deuxième ligne et retour immédiat du patient sous la responsabilité de son médecin de famille.

Or voici les problèmes auxquels le médecin de famille est susceptible de faire face :

Accès difficile aux plateaux techniques : les délais pour examens sont inacceptables.

Absence d'accès direct à la deuxième ligne : les réseaux de référence ne sont pas intégrés, les voies de communication entre première ligne et spécialistes ne sont pas systématisèes. Quand ils existent, ces réseaux sont trop souvent le fruit d'initiatives personnelles.

Absence de mentalité d'intégration des soins au niveau du corps médical. Il n'y a pas de chef d'orchestre, ce qui devrait être le rôle du médecin de famille. Le patient est dirigé d'un spécialiste à l'autre, au gré des problèmes, sans que personne n'ait une vision globale.

Absence de soutien et de valorisation de la reprise en charge par le médecin de première ligne, après investigation.

Et puis, honnêtement, on se donnerait tout ce mal pour une rémunération de beaucoup inférieure à une bonne clinique sans rendez-vous bien remplie? Plusieurs le font malgré tout, attachés qu'ils sont aux valeurs éthiques de leur profession.

Devant la grande difficulté d'appliquer le modèle ci-haut décrit, nous subissons donc trop souvent l'inefficace et coûteuse alternative, soit une absence de prise en charge et un détournement des patients vers les cliniques sans rendez-vous ou les urgences où les problèmes sont traités à la pièce avec tous les engorgements et duplications que celà entraîne.

Si l'on veut augmenter l'intégration des médecins de première ligne et revaloriser leur pratique, il faudra bien prendre les mesures appropriées. On pourrait bien sûr encore une fois s'en laver les mains et rejeter tout le blâme sur le «Bon Vieux Système», mais la communaté médicale elle-même a aussi un sérieux examen de conscience à faire. Nous devons, au sein de notre profession, nous organiser, nous réunir, nous parler et trouver des solutions aux inacceptables problèmes d'accès dont souffre la population. Dans cette optique, la polarisation récemment exacerbée entre médecins spécialistes et médecins de famille est futile et contreproductive. Il incombe à tous les médecins de participer activement à la mise en place de modèles de prise en charge qui favoriseront l'accès et une pratique médicale efficace. Ces modèles existent, nous n'avons même pas à les inventer! Il suffit d'avoir la volonté de les implanter et il est de notre devoir de le faire.