Je me lève le matin et je me demande quelle baliverne tombera sur mon bureau ou dans ma boîte courriel au sujet de la vaccination A (H1N1). Puis, je tombe parfois sur un prophète, intellectuel autoproclamé, qui arpente le Québec pour nous délivrer d'une vaste conspiration de savants fous.

Je prends la peine parfois de les écouter, ces intellectuels. Je me dis qu'il faudrait au moins que je prête une petite oreille à un homme qui prétend passer 26 heures par jour et huit jours par semaine à faire des recherches théoriques sur des complots, pour voir ce qu'il en est de ces vantardises.

Je me surprends parfois à perdre du temps sur le site internet de certains de ces prophètes pour aller y chercher les références et la source des accablantes preuves qu'ils détiennent. Et je ne trouve rien! Que des pages blanches qui poudroient, et quelques très édifiants courriels, qui ont le mérite, au moins, de me divertir. Mais, quand même, lorsqu'on prétend avoir ce qu'il faut pour abattre le réseau de santé publique mondiale, on doit faire plus que de parler des diplômes que l'on a commencés sans les finir.

Ces prophètes parlent bien, ont un discours qui - en apparence - semble articulé, et que des gens vont se laisser convaincre. Que de questions j'aimerais leur poser à ces «débusqueurs» de complot!

Trouver des liens et des rapports obscurs est à la portée de quiconque possède un ordinateur. Comprendre ce qu'on lit, être critique est une autre paire de manches. Si ces magiciens de la recherche passaient moins de temps plongés dans leurs lectures et plus de temps sur le terrain, dans le vrai monde, à vérifier qu'ils ont bien compris ce qu'ils ont lu, nous perdrions moins de temps à chasser des mouches.

Mais, hélas! On les voit partout ces prophètes. Ils pourrissent les débats, congestionnent les boîtes de courriel, détournent l'attention vers des faits invérifiés et souvent invérifiables, et nous forcent à leur consacrer du temps et de l'énergie qui seraient diablement plus utiles ailleurs. Ce faisant, nous leur donnons une légitimité qu'ils ne méritent pas.

Lorsque quelqu'un m'annonce, preuve à l'appui que la Terre est plate, je me dis: «Bien, merci pour cette information utile», et je balaye le dossier dans la filière ronde sous mon bureau. Personne ne va en mourir, la santé publique n'est pas menacée. Mais lorsqu'un expert autoproclamé tente, et réussit, à convaincre des gens d'arrêter leur traitement ou de ne pas recevoir un vaccin sécuritaire qui leur épargnerait des problèmes, je dis: «Commencez par nous démontrer que vous savez de quoi vous parlez - et non comment vous parlez - et arrivez-nous avec autre chose que de belles ballounes mauves ficelées avec des lacets de bottine. Si vous voulez contredire des experts qui ont consacré leur vie à trouver des moyens pour améliorer la santé de leurs semblables (et je ne parle pas de moi), il vous faudra plus que nous dire que vous êtes des intellectuels surdoués.»

Comment un expert peut-il, de façon convaincante, réfuter une série d'énormités sans y perdre un temps fou? Le voilà qui se débat, qui cite ses connaissances, la littérature, son expérience de terrain et sa logique. Et le débat s'enlise dans les détails techniques. Ce qui laisse croire, faussement, que l'expert s'adresse à un autre expert. Peu importe l'issue, le faux prophète aura gagné, au moins, d'être traité d'égal à égal. Et les conséquences peuvent être démesurées.

Le virus pandémique est bénin et vous vous en sortirez avec deux ou trois jours de repos, nous disent certains bien-pensants, le sourire narquois. La belle affaire que voilà! La grippe A (H1N1) tue des jeunes comparativement à ce qu'on voit avec la grippe saisonnière. C'est un fait, solide comme une cloison d'acier. Pas à la tonne, il n'y a pas d'hécatombe; mais on ne se bat pas contre la vaccination en essayant d'entraîner le plus gens possible parce qu'il n'y a pas encore assez de décès qui le justifie. C'est une énormité. Chaque décès est un décès de trop s'il peut être évité.

Le vaccin est là, il ne coûte presque rien et il est sûr. Et quand bien même elle ne sauverait que 200 vies au Québec, la vaccination de la population aura eu un sens.

Jean Barbeau

L'auteur est microbiologiste et professeur titulaire à la faculté de médecine dentaire de l'Université de Montréal. Il s'exprime à titre personnel.