L'Assemblée nationale a démontré une fois de plus son engagement pour lutter contre le tabac en adoptant le projet de loi 43, la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac.

Le Québec se joint ainsi à d'autres provinces dans le but d'entreprendre des démarches afin de tenir responsable les fabricants de tabac, non seulement pour avoir manqué à leur obligation d'informer le public sur la nocivité de leurs produits, mais pour avoir mis en oeuvre une conspiration visant à jeter le doute au sein des législateurs et du public sur les dangers du tabac.

À notre avis, cette initiative ne vise pas à savoir si les fabricants de tabac ont commis ou non une telle fraude mais plutôt de connaître l'ampleur de celle-ci. Il suffit de jeter un coup d'oeil aux documents publiés à ce jour par différentes instances juridiques pour comprendre que la communauté de la santé n'exagère en rien lorsqu'elle qualifie d'odieux le comportement de l'industrie du tabac au Canada.

Par exemple, lorsque les scandales ont éclaté aux États-Unis dans les années 1990 exposant le comportement frauduleux de l'industrie du tabac, les fabricants canadiens ont déclaré que ces révélations ne les impliquaient pas.

Pourtant, à la suite de la contestation de Loi sur le tabac du gouvernement fédéral devant la Cour supérieure du Québec, le juge André Denis a émis en 2002 le commentaire suivant: «... la preuve montre que les cigarettiers connaissent tous ces faits (les maladies et la dépendance générées par l'usage du tabac) depuis souvent plus de 50 ans et les ont toujours niés ou refusé d'en informer les consommateurs.»

Par ailleurs, les fabricants de tabac ont toujours insinué qu'ils ne ciblaient jamais les jeunes avec leurs publicités. Or, à la suite de la contestation de la même loi devant la Cour suprême du Canada, la juge en chef Beverley McLachlin a écrit en 2007 que «la publicité des produits du tabac sert à recruter de nouveaux fumeurs, particulièrement des adolescents.»

Pendant des années, les compagnies de tabac ont également allégué qu'elles n'ont jamais été complices dans la contrebande du tabac. La preuve du contraire a toutefois persuadé Imperial Tobacco et Rothmans, Benson et Hedges à plaider coupable l'année dernière d'avoir «...aidé des personnes à vendre ou être en possession de produits du tabac fabriqués au Canada qui n'ont pas été emballés ou estampillés conformément à la Loi sur l'accise...» et à s'engager à payer des pénalités records de 1,15 milliard de dollars. Une autre illustration que le mensonge est devenu une partie intégrante des pratiques corporatives de cette industrie. Le plus troublant dans cette affaire est le fait que nous ne serons peut-être jamais capable de connaître toute l'ampleur de la fraude.

Dans une décision rendue en 2006 par la Cour fédérale américaine, la juge Gladys Kessler a trouvé que : «...au cours d'une période d'environ 50 ans, différentes compagnies de tabac ... ont étouffé, dissimulé et interrompu des travaux de recherche; elles ont détruit des documents incluant des rapports de recherche et des études; et elles ont évoqué de manière répétée et inappropriée le privilège du secret professionnel de l'avocat ... pour des milliers de documents dans le but d'empêcher leur divulgation à des plaignants dans des litiges sur le tabac et la santé et à des agences réglementaires fédérales...» (traduction libre)

Parmi toute la preuve disponible à la juge Kessler, on retrouve des correspondances impliquant la firme d'avocats Ogilvy Renault à Montréal pour le compte d'Imperial Tobacco. Un de ces documents explique le rôle joué par cette firme : «(1) Lorsqu'on considère l'impact potentiel des rapports de recherche conservés au Canada sur les litiges, nous avons divisé les documents préoccupants dans trois catégories : la liste 1 recense les documents faisant des déclarations délicates et contenant des résultats de recherche délicats... (2) Des 83 documents sur la liste 1, la lettre d'Ogilvy Renault rapporte que 60 d'entre eux sont maintenant détruits...» (traduction libre)

L'industrie du tabac se plaint que le gouvernement s'en prend à la mauvaise cible et qu'il devrait plutôt combattre la contrebande. Le fait que d'autres commettent des actes illégaux ne constitue pas un argument valable pour se défendre contre des accusations portées contre soi.

De toute façon, la responsabilité du marché actuelle de la contrebande revient en grande partie à l'industrie du tabac puisque c'est elle qui a généré l'intérêt pour ce marché illicite parmi des communautés autochtones. Le moment est venu pour cette industrie de faire face aux conséquences de ses actes.

L'auteur est directeur, bureau du Québec, de l'Association pour les droits des non-fumeurs.