L'onde de choc causée par le massacre de Bombay en novembre dernier, où 170 personnes ont perdu la vie aux mains de terroristes islamistes originaires du Pakistan, continue d'ébranler toute la société.

Une véritable psychose du terrorisme s'est emparée du pays, psychose alimentée par des médias en mal de sensationnalisme et plus va-t-en-guerre que les politiciens. La couverture de la situation par l'influent hebdomadaire India Today en est un exemple stupéfiant qui ne fait pas honneur à la profession journalistique.

 

L'hebdomadaire a lancé le mouvement «Declare War on Terror» dans lequel il a invité le public à envoyer à un panel d'experts des suggestions sur la meilleure façon de lutter contre le terrorisme. Il a reçu près de 100 000 réponses. Avec ce matériel, India Today a décidé «de produire un programme qui jette un oeil critique et extrêmement rigoureux aux principaux secteurs qui nécessitent un changement et une réforme «. L'équipe éditoriale a identifié 12 de ces secteurs et a demandé à ses journalistes de consulter les experts afin de formuler des recommandations pour chaque secteur. On y trouve même une charte du citoyen averti. Le tout a été publié dans un dossier spécial il y a deux semaines. L'objectif vise à transformer les institutions, les stratégies et les mentalités afin de mieux préparer l'Inde à affronter le terrorisme. Si les intentions du magazine sont tout à fait honorables, certains résultats le sont moins.

Double malaise

En effet, la lecture du dossier provoque un double malaise. Le premier a trait aux choix des experts cités et dont les opinions orientent nécessairement la rédaction des articles et la sélection des recommandations. Pour la plupart des 12 secteurs couverts, l'équipe éditoriale n'a pas cru bon d'inviter des personnes aux perspectives différentes. Au contraire, tous les experts sont des faucons qui pensent de la même façon. Tous préconisent des solutions musclées fondées sur l'expérience américaine, parfois même jusqu'à l'absurde.

Ainsi, il est proposé de transformer le ministère de l'Intérieur à l'image du Department of Homeland Security américain, car la création de celui-ci aurait empêché une nouvelle attaque du territoire américain. Il ne semble pas être venu à l'esprit de l'équipe éditoriale que ce lien de cause à effet pourrait être le résultat d'autres facteurs. Par exemple, les États-Unis sont une société riche, cohérente et unie, pratiquement isolée sur son continent et donc facilement défendable alors que l'Inde est un vaste pays multiethnique et pauvre, secoué par des mouvements insurrectionnels ou séparatistes qui mobilisent l'énergie du quart de ses forces armées. Ses frontières sont poreuses, et il est entouré de voisins plus ou moins suspicieux de ses intentions.

Le deuxième malaise découle du premier. À lire les experts, on a la surprenante impression que cette puissance industrielle, militaire et spatiale d'un milliard d'habitants et dont l'influence s'exerce directement ou indirectement sur un demi-milliard d'habitants (Pakistan, Bangladesh, Afghanistan, Sri Lanka, Birmanie, Népal et Bhoutan) est dans une situation désespérée face au terrorisme. Le tableau brossé ressemble fort à celui apparu aux États-Unis au lendemain du 11 septembre: un pays faible et vulnérable aux prises avec un colosse qui menaçait de le terrasser à n'importe quel moment.

La lutte au terrorisme, particulièrement dans une démocratie, demande une vigilance de chaque instant et des mesures parfois sévères. Elle demande aussi que son exercice s'accompagne d'un vigoureux débat sur les voies et moyens d'y faire face. En suscitant la peur et en ignorant d'autres perspectives, comme l'expérience des pays européens ou une réponse plus politique que sécuritaire, India Today ne rend pas service aux Indiens et au monde.

L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié au CERIUM de l'Université de Montréal. Il revient d'un séjour en Inde et au Sri Lanka.