Avec la perspective d'une récession de plus en plus certaine, la lutte contre les changements climatiques et la réduction des gaz a effet de serre peut sembler non prioritaire et la taxe sur le carbone des libéraux mal venue. Pourquoi en effet taxer le coeur de l'économie? L'ajout d'une bureaucratie comptabilisant les intensités d'émission de chaque entreprise, à partir de 2010, comme le proposent les conservateurs, pourrait en effet paraître plus adéquat et surtout moins dommageable pour l'économie. Deux éléments doivent cependant être discutés: le carbone est-il vraiment au coeur de l'économie et, même s'il l'était, mériterait-il d'être exempté?

Nous entendons tous parler de pétrole et de gaz naturel, et beaucoup de portefeuilles sont directement touchés par les fluctuations de prix. Mais la réalité est que nous n'utilisons ces hydrocarbures que parce qu'ils nous permettent de nous déplacer, de nous chauffer et d'obtenir de l'électricité. (Nous les utilisons aussi pour de nombreux autres usages, mais dans des proportions bien moindres.) Or, autant pour le transport, le chauffage que pour la production d'électricité, le Canada est particulièrement inefficace: nos voitures consomment plus de litres aux 100 km que les voitures européennes, nos maisons détachées consomment plus d'énergie pour le chauffage et abritent moins de personnes que les maisons attenantes et appartements et, enfin, les centrales thermiques (utilisées surtout en Alberta et en Ontario) sont en moyenne 10 à 20% moins efficaces qu'en Europe.

 

Ce qui est au coeur de l'économie, ce n'est donc pas le carbone, mais des usages éminemment perfectibles qui n'attendent que les bons incitatifs économiques pour être améliorés. Une taxe sur le carbone est exactement l'outil incitatif qu'il nous faut, pour participer à guider nos efforts.

Demande en hydrocarbures

Le contrecoup industriel d'une telle taxe sera de réduire la demande en hydrocarbures, exactement ce que les objectifs de sécurité énergétique exigent. Au Canada, l'Alberta sera la principale province à voir son économie ralentir, parce qu'elle produit la majorité du pétrole et du gaz naturel canadiens. Pour leur gouvernement, cela diminuera les redevances fiscales qu'elle recevra. Mais cela ne changera rien au niveau fédéral, parce que les ressources naturelles sont une compétence exclusive des provinces, ce qui fait que la richesse en hydrocarbures ne profite qu'aux provinces d'où ils viennent. Au Québec, où l'industrie du pétrole est tout à fait marginale, il n'y a que des gains rapides à réaliser en développant une plus grande efficacité énergétique. La taxe sur le carbone nous y incitera véritablement. Si la transition, comme toute transition, est un peu difficile, elle peut cependant se faire rapidement: tous les outils sont là, il ne suffit que de les utiliser avec une bonne mobilisation et une coordination des gouvernements.

Le carbone n'est donc pas vraiment au coeur de l'économie: il est pour l'instant central, mais non essentiel, à des activités clés (transport, chauffage, électricité). C'est la protéine qui donne de la force à nos organes économiques vitaux. Tout comme il est recommandé (et possible) de substituer des protéines végétales aux protéines animales pour des raisons de santé, il faut substituer des énergies propres aux hydrocarbures, pour des raisons de santé environnementale et économique. À moyen et long termes, ces énergies sont moins coûteuses: le coût de production est souvent nul une fois que l'investissement initial est fait (comme c'est le cas pour l'hydroélectricité).

Déjà qu'aucune politique significative n'a été adoptée dans la lutte conter les GES, une exemption lors d'une récession serait une erreur. Ces périodes doivent être l'occasion de changer les pratiques et de réduire les inefficacités, surtout si celles-ci impliquent des énergies importées.

Entre la bureaucratie de l'intensité des émissions que les conservateurs mettent déjà en place pour 2010 et une taxe fiscalement neutre sur le carbone, le choix raisonné ne devrait même pas faire l'objet d'un débat. Les critiques devraient plutôt porter sur les oublis de la taxe: les émissions du secteur agricole et des déchets, et le manque de support massif pour des solutions de rechange en transport, chauffage et production d'électricité. En temps de récession, il faut reconstruire sur de meilleures bases. Celles-ci passent par une écologisation de la fiscalité.

L'auteur est professeur à HEC Montréal et organisateur du colloque «Énergie et développe-ment durable» le 20 octobre prochain (https://blogues.hec.ca/gridd/).