L’auteur s’adresse à la nouvelle ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge

Madame la ministre Pascale St-Onge, à votre retour de vacances, vous aurez à décider de la suite à donner à cet important bras de fer avec Meta. Vous connaissant de l’époque où vous avez œuvré à la Fédération nationale des communications de la CSN, je sais que vous avez l’habitude de négocier en maintenant toujours une position de force. J’ai confiance que vous resterez ferme dans cette négociation avec Meta jusqu’à la fin du délai prévu par la loi C-18.

Et à ce jour, il faut également saluer le travail effectué par votre ministère et votre prédécesseur, Pablo Rodriguez, qui a permis l’adoption des lois C-11 et C-18.

Mais au cours des dernières semaines, je me suis tout de même posé la question : et si Meta ne pliait pas, quelle est l’alternative ? Que fait-on ?

Car à en juger par l’attitude du géant américain, il semble que son propriétaire, Mark Zuckerberg, soit prêt à tout pour ne pas se soumettre aux règles du jeu prévues par la loi C-18. Sur mon propre compte, j’ai vu que Facebook s’est permis, à mon insu, de faire disparaître mon texte qui faisait un lien avec l’opinion de Jean-Hugues Roy publié dans La Presse intitulé « Le désert d’un Facebook sans nouvelles »⁠1.

Aussi, je vous invite, en tout respect, à songer à un plan B.

Quelle est l’alternative ?

Récemment, j’ai avancé lors de quelques entrevues l’idée de travailler à la création d’un réseau social de type public, totalement indépendant du gouvernement et des médias actuels, y compris de Radio-Canada. Un réseau offrant une totale transparence et non l’opacité totale de Meta.

Faisons un peu d’histoire. Dans le passé, le gouvernement canadien a adopté une stratégie forte pour contrer la domination américaine en matière de culture et d’information.

Ainsi, en 1936, la création d’un réseau pancanadien de radio avait comme objectif de contrer l’influence grandissante des radios américaines tout le long de la frontière canado-américaine. C’est que les radios de notre voisin du Sud inondaient les régions frontalières de leur musique et de leurs informations. La création de Radio-Canada/CBC et du CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) a alors constitué la stratégie adéquate.

Plus tard, en 1952, même défi, celui de contrer l’influence grandissante de la télévision américaine qui avait pris l’avance sur nous.

L’arrivée de la télévision de Radio-Canada a constitué le meilleur remède pour contrer la culture et l’information véhiculées par la télévision américaine sur notre territoire.

Cela a permis d’enrichir et de consolider notre culture ainsi que de développer un solide média proposant une information de qualité.

Cependant, quelques décennies plus tard, nous avons erré en ne réagissant pas rapidement à l’arrivée de l’internet. Même que le CRTC a indiqué, dans un avis public de 1999, qu’il ne se mêlerait pas de ce qu’on appelait alors les nouveaux médias. L’avis précisait les choses ainsi : « En ne règlementant pas les services des nouveaux médias, nous espérons favoriser leur essor⁠2. » On connaît la suite. Cette ouverture a permis aux géants numériques américains d’établir une totale domination sur notre territoire durant de très nombreuses années.

Or, on oublie trop souvent que nous avons affaire à des géants numériques américains qui importent chez nous leurs valeurs et leur mode de vie. Dont celui de décider pour nous de ce qui est bien et de ce qui est mal sur un réseau social comme Facebook. De laisser tout l’espace nécessaire à la désinformation. Enfin, de décider impérativement que nous n’avons plus accès aux contenus de nos médias sur son réseau social. Car c’est le sien, pas le nôtre, faut-il le rappeler.

Les millions d’utilisateurs de Facebook ont longtemps cru que ce réseau social était en quelque sorte un véritable service public, comme l’électricité en d’autres temps, en oubliant qu’il s’agissait bel et bien d’un service privé, appartenant à un multimilliardaire américain. Lequel n’a que l’ambition de faire des profits avec les données personnelles que nous lui avons données sur un plateau d’argent.

Vous pouvez, comme ministre, décider de maintenir une position ferme face à Facebook.

Mais je suggère qu’en parallèle, vous établissiez une consultation rapidement afin de voir à la faisabilité de créer un réseau social totalement public, avec une gouvernance ouverte, transparente et des algorithmes tout aussi transparents.

Dès lors, Meta comprendra qu’il se doit de négocier. Mais entre-temps, vous aurez aussi défini une alternative pour le futur, ce qui est nécessaire.

D’ici la fin du délai prévu, il est possible que Meta ne veuille suggérer des ententes qu’avec les grands médias. Mais il ne serait pas opportun de le laisser faire, car les petits médias en souffriraient. Et de quel droit le laisserions-nous décider seul ?

Une autre idée qui a déjà été proposée, c’est de créer une banque destinée à verser certaines redevances, mais à qui ? À quel média ? Selon quels critères ? Encore une fois, ceux définis par Meta ? Vraiment ?

Nous pouvons sortir de ce corridor étroit défini par le géant numérique américain. Prenons les moyens afin de définir un environnement sain indépendant de Meta. À l’heure actuelle, il existe, à mon avis, un véritable élan pour développer une telle stratégie. Déjà plusieurs personnes sont prêtes à envisager des solutions de rechange, cherchent des portes de sortie et sont en quête de nouveaux réseaux. Le moment est bien choisi pour définir une alternative pérenne qui ne mette pas le public sous la dépendance d’un multimilliardaire américain et qui nous mette à l’abri des problèmes qu’il a créés à notre vie démocratique. Nous avons besoin d’un réseau social – et j’en suis – pour interagir, faire circuler l’information et non la désinformation tout en versant des redevances à tous les médias. Un réseau public, indépendant du gouvernement avec une gouvernance transparente, des algorithmes bien définis selon des règles éthiques de haut niveau. À nous de jouer.

1. Lisez le texte de Jean-Hugues Roy 2. Consultez l’avis public du CRTC (1999-84) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion