Il faudra combien de fermetures de journaux, de mises à pied et de suppressions d’éditions papier pour que l’on prenne conscience du terrible drame que vivent les médias québécois ?

La « suspension immédiate » des 17 publications du groupe Métro Média annoncée vendredi, en fin d’après-midi, est une véritable catastrophe pour notre industrie. On ne parle pas ici de petits hebdos sans envergure, de feuilles de chou, mais de publications qui étaient conçues par des professionnels. On parle surtout d’une couverture indispensable de l’actualité locale.

Dans la grande région de Montréal, les journaux Métro étaient ceux qui couvraient systématiquement les conseils d’arrondissement, scrutaient les décisions parfois discrètes des conseillers et suivaient de près les intérêts proches des citoyens. Combien de nouvelles étonnantes ai-je découvertes en parcourant les différentes éditions de Métro ?

Cette nouvelle m’attriste aussi parce que ces journaux embauchaient beaucoup de jeunes journalistes. C’était l’endroit idéal où aller faire ses classes. Je pense donc à tous ces collègues qui vivaient la première étape de leur carrière.

Imaginez la chose un instant… C’est l’été, c’est un vendredi, Metallica est en ville, des amis t’attendent sur une terrasse, et paf ! tu apprends à 16 h 30 dans un courriel que tu n’as plus de travail.

Que vont faire maintenant ces dizaines de jeunes journalistes ? Il leur reste quelques quotidiens de Montréal et de Québec, journaux régionaux et autres médias électroniques qui n’embauchent plus comme ils l’ont déjà fait dans le passé. Quant aux revues spécialisées et aux magazines (de plus en plus rares et de plus en plus minces), il faut faire la queue et le paon devant leur bureau pour obtenir des contrats à la pige.

Dans une note de service qu’il a envoyée aux employés, le PDG de Métro Média, Andrew Mulé, a montré du doigt la mairesse Valérie Plante, qui depuis des années veut mettre fin au Publisac, un outil de distribution qui fut très important pour les journaux Métro. C’est ce qui aurait obligé Métro Média à effectuer un passage au numérique, un virage qui ne lui a visiblement pas réussi.

La mairesse a exprimé vendredi sa « tristesse » de voir ces journaux quitter l’écosystème médiatique en utilisant un réseau social (X/Twitter), l’une des causes des difficultés que rencontrent les journaux. C’est le comble de l’ironie.

Car ce qui est le plus révoltant dans cette disparition, c’est de voir qu’elle survient au moment où Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, fait subir un humiliant affront au monde des médias canadiens. En bloquant le partage du contenu de nouvelles sur ses plateformes en représailles à l’entrée en vigueur imminente de la loi C-18, il frappe en plein cœur les fondements mêmes de notre démocratie.

C’est cela que l’on doit voir dans la « suspension » des journaux Métro, dans la suppression des éditions papier des journaux de la Coop de l’information (Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, etc.), dans l’abolition de l’édition du dimanche du Journal de Montréal, dans l’élimination du bulletin de nouvelles du week-end à TVA-Québec et dans les signaux qu’envoient de grands quotidiens anglophones depuis quelques mois.

L’entreprise propriétaire du Toronto Star, Nordstar, et son concurrent Postmedia, qui publie notamment la Montreal Gazette, au Québec, ont entamé en juin dernier des discussions au sujet d’une éventuelle fusion. Deux semaines plus tard, les deux parties ont déclaré qu’elles avaient été incapables de parvenir à une entente. Elles devront trouver un autre moyen pour survivre à cette crise.

Car survivre, c’est la nouvelle réalité des journaux et des autres médias au Québec. Mon métier de journaliste et d’auteur m’amène à passer beaucoup temps à fouiller les journaux et les publications des années 1960, 1970 et 1980. Je n’en reviens pas de voir comment ces années étaient une période dorée.

Cette époque est révolue. Je ne parle pas du papier et d’une vieille manière de faire. Les journaux et les autres médias ont montré qu’ils devaient et qu’ils pouvaient effectuer un virage numérique avec succès. Je parle des moyens qu’avaient ces journaux, de l’importance qu’on leur accordait et des revenus publicitaires qui étaient au rendez-vous et qui n’étaient pas encore pillés sans vergogne selon les lois du capitalisme sauvage.

Bien sûr, on pourrait reprocher à certains journaux d’avoir regardé le train passer et d’emprunter le virage numérique trop tard. Mais pour avoir vécu de près l’immense transformation qu’a connue La Presse, je peux vous dire que cela doit se préparer longtemps et minutieusement, et qu’il faut des moyens que n’ont pas tous les médias québécois.

Et puis, il ne faut pas croire que le virage numérique est une sinécure. Cela fonctionne pour certains médias et moins bien pour d’autres. On le voit aujourd’hui avec les journaux Métro.

La mort de cet important réseau d’hebdos n’augure rien de bon pour les prochains mois. Vivrons-nous un automne noir ? À force de voir les signaux se multiplier, je le crains. C’est pourquoi la bataille que nous menons doit être féroce et sans merci.

Très souvent, vous m’écrivez votre attachement à La Presse, votre soif d’une information de qualité, de reportages originaux et d’enquêtes qui changent le cours des choses. Nous perdons des soldats au champ de bataille, mais ceux qui sont encore là ont besoin d’entendre ça pour rester debout.

(Re)lisez « C’est la fin d’une époque »