(Montréal) Une nouvelle tuile s’est abattue sur les médias vendredi. L’entreprise Métro Média, qui comprend le Journal Métro et 16 hebdomadaires locaux, a annoncé en fin de journée la suspension immédiate de ses activités, laissant ses employés sous le choc et le milieu des médias peiné.

Le président-directeur général, Andrew Mulé, en a fait l’annonce aux employés par courriel en fin de journée vendredi. « Le temps était mon pire ennemi et ce que je craignais est malheureusement arrivé, mais de manière brusque et soudaine », a-t-il déclaré dans une note interne.

Il critique dans son message l’absence de soutien gouvernemental et la décision de la mairesse Valérie Plante de compliquer la distribution du Publisac, ce qui a obligé l’entreprise à effectuer un virage numérique. Outre le Journal Métro, l’entreprise possédait 11 journaux locaux à Montréal et 5 à Québec.

Voyant arriver la fin du Publisac sur l’île, l’entreprise s’était tournée vers un virage numérique. Or cette transition était impossible « sans aide financière externe », explique M. Mulé.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Andrew Mulé, président-directeur général de Métro Média

Le président dit avoir « frapp[é] à toutes les portes » dans la dernière année pour tenter de sauver l’entreprise, en vain. Il a été averti mercredi qu’il ne pourrait plus poursuivre ses activités en raison de l’absence d’un soutien continu de la part de Desjardins Culture et du ministre de l’Économie et de l’Innovation, d’Investissement Québec et de la SODEC.

« J’ai éclaté en sanglots »

« Dès les premières lignes du message de notre président, j’ai éclaté en sanglots. Ce n’est pas quelque chose à quoi je m’attendais. Pas à court terme », a dit à La Presse la journaliste culturelle du Journal Métro, Caroline Bertrand.

En tant que petit média, on savait qu’il y avait une épée de Damoclès. Mais au quotidien, ça allait tellement bien. Personne dans l’équipe n’aurait pu croire que c’était la fin aujourd’hui.

Caroline Bertrand, journaliste culturelle à Métro

Caroline Bertrand occupait son poste au sein du journal depuis plus d’un an. « Je vivais mon rêve d’être journaliste culturelle à temps plein, et là, c’est fini. Je sais que je vais rebondir, mais en ce moment, je n’ai plus d’emploi », laisse-t-elle tomber, très émue.

Une annonce « dramatique » pour le milieu journalistique

Pour le professeur de journalisme à l’UQAM Patrick White, cette annonce est « dramatique pour le monde journalistique au Québec » et constitue « une très mauvaise nouvelle pour la démocratie locale ».

On savait qu’il y avait des enjeux budgétaires, des mises à pied qui s’en venaient. Mais est-ce qu’on savait que tout allait fermer comme ça, de façon si sèche, un vendredi après-midi, avec un mémo envoyé aux employés ? Non.

Patrick White, professeur de journalisme à l’UQAM

« C’est une nouvelle très triste », renchérit le vice-président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et journaliste à La Presse Éric-Pierre Champagne. « La qualité de l’information repose entre autres sur la pluralité des voix, donc, avec un média de moins, c’est l’information et le public qui en sortent perdants. »

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a exprimé sa grande tristesse à l’annonce de la suspension des activités du Journal Métro. « C’est une perte importante pour l’écosystème médiatique et le quotidien des Montréalaises et des Montréalais », a-t-elle déclaré sur le réseau social X, anciennement Twitter. Elle a également mis en avant la nécessité d’une « réflexion urgente » et de « solutions collectives » face à la transformation radicale de l’environnement économique des médias.

La fin des journaux papier

« C’est la fin d’une époque et c’est vraiment le clou dans le cercueil pour les journaux papier au Québec », se désole le professeur Patrick White. Cette nouvelle s’inscrit dans un contexte de transformation du paysage médiatique, note-t-il.

Depuis janvier, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ont abandonné leurs éditions papier du dimanche. Les Coops de l’information (CN2i), regroupant six quotidiens régionaux, ont aussi annoncé à la fin mars que leurs versions papier prendraient fin vers décembre 2023.

Les autres hebdomadaires locaux à travers la province doivent aussi composer avec les défis posés par la transition numérique. « On a tous les mêmes enjeux. Le Publisac distribue encore plusieurs de nos journaux membres et la transformation numérique est au cœur de nos défis », dit le directeur général d’Hebdos Québec, Sylvain Poisson.

Contexte difficile

Pour plusieurs journaux locaux, la publicité dans les éditions papier demeure plus rentable que les revenus publicitaires numériques, explique Patrick White. Le blocage des nouvelles sur Facebook et Instagram dans les derniers jours nuit encore davantage à leur transition numérique.

La semaine dernière, Meta, la société mère des plateformes Facebook et Instagram, a commencé à mettre fin à l’accès aux nouvelles au Canada. Cette mesure fait suite à l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne d’Ottawa, qui force les grandes plateformes du web à négocier des ententes avec les médias canadiens pour compenser la diffusion de leurs nouvelles.

Pour réussir dans ce contexte, les médias doivent avoir un modèle d’affaires renouvelé et un contenu exceptionnel « qui va attirer l’attention et le regard des gens », estime M. White. « C’est un très gros défi. »

Selon lui, une augmentation de l’aide financière de la part des gouvernements fédéral, provincial ou d’autres programmes est donc indispensable pour assurer la survie des journaux hebdomadaires locaux. « Il faut que les gouvernements soient bien conscients que chaque fois qu’un média ferme, comme c’est le cas de Métro, c’est la base de la démocratie qui est minée. »

Avec la collaboration d’André Dubuc, La Presse

Lisez la chronique de Mario Girard : « Combien en faudra-t-il ? » Vous ne voyez plus nos contenus sur vos médias sociaux ? Voici comment vous assurer de ne rien manquer.

En chiffres

100 000

Nombre de lecteurs du Journal Métro par semaine

200

Nombre de points de distribution du Journal Métro

1,9 million

Nombre de visiteurs uniques mensuels sur le site internet du Journal Métro

165 000

Nombre de journaux distribués mensuellement par les Hebdos Métro

Source : site web de Métro Média

Temps durs pour les médias

Janvier : Postmedia, qui possède notamment le National Post, la Montreal Gazette et le Vancouver Sun, met à pied 11 % de son personnel éditorial.

Février : Québecor annonce l’abolition de 240 postes, dont 140 chez Groupe TVA, en raison de l’érosion de ses revenus publicitaires.

Mars : L’annonce de la fin du papier aux Coops de l’information entraîne l’abolition d’une centaine de postes d’ici à la fin de l’année. Un programme de départs volontaires est mis en place.

Juin : Bell abolit 1300 postes, soit environ 3 % de son effectif. Des employés et des gestionnaires sont licenciés dans au moins trois stations de radio appartenant à Bell Média au Québec : en Montérégie, à Drummondville et à Rimouski.

Juin : Une pénurie de personnel à la Montreal Gazette oblige le journal à suspendre sa section d’opinion pour l’été, révèle le site de nouvelles The Rover.

Juillet : Les sociétés de médias canadiennes Postmedia Network Canada et Nordstar Capital, propriétaire du Toronto Star, mettent fin à leurs discussions sur une éventuelle fusion, affirmant ne pas être en mesure de parvenir à un accord.

Août : Québecor cesse de payer son loyer à l’Assemblée nationale pour ses bureaux de la Tribune de la presse, réclamant l’accès gratuit aux locaux pour les journalistes.

Alice Girard-Bossé, La Presse, avec La Presse Canadienne