Lorsque j’ai lu que l’UNESCO admettait du bout des lèvres dans un tout récent rapport1 que le téléphone intelligent n’avait pas sa place dans une salle de cours, je me suis dit : il était à peu près temps !

Voyez-vous, cela fera bientôt 10 ans que je fais paraître des textes dans différents médias sur les effets négatifs non pas seulement du téléphone intelligent, mais de la plupart des technologies numériques à l’école et dans la vie quotidienne des citoyens. Le premier de ces textes, publié par La Presse en 2014, avait pour titre « La tyrannie du téléphone intelligent » 2. Depuis, près d’une quarantaine de textes ont suivi, dont ce tout dernier intitulé « Ces enfants sacrifiés sur l’autel du numérique » 3, dans lequel j’implorais le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, de ne pas simplement encadrer, mais plutôt d’interdire le téléphone intelligent en classe et dans l’ensemble de nos établissements d’enseignement.

Des outils inefficaces et dangereux

L’UNESCO affirme donc qu’il existe « peu de preuves solides de la valeur ajoutée de la technologie en éducation ». Pourquoi ces circonvolutions ? En fait, ce que les auteurs du rapport auraient dû écrire, c’est qu’il n’existe aucune preuve que les technologies numériques apportent quoi que ce soit de positif en éducation et qu’elles sont même souvent contre-productives et néfastes en ce qui a trait au développement intellectuel, physique, social et psychologique des enfants et des adolescents.

D’ailleurs, déjà en 2015, dans un document intitulé « Connectés pour apprendre ? », le Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA) mettait en garde la communauté internationale en affirmant que « les pays qui ont consenti d’importants investissements dans les TIC dans le domaine de l’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, en mathématique et en science » 4 ; aucune ! Plus loin, les auteurs du document ajoutaient même que c’est dans les pays où ces technologies sont le plus utilisées que les résultats des élèves sont les plus faibles.

Combien d’alertes de ce genre ont été lancées depuis ? Des livres, des recherches universitaires et des documentaires nous ont informés au fil des années au sujet des effets délétères que ces technologies avaient ou pouvaient avoir sur le développement des enfants. Mais toutes ces alertes, la grande majorité des enseignants et pédagogues, tout comme ceux qui sont aux commandes du ministère de l’Éducation et de nos établissements d’enseignement, n’ont pas voulu les entendre.

Lorsque Galilée, après avoir perfectionné la lunette, décida de tourner cet outil grossissant vers le ciel, il découvrit à sa grande stupéfaction que des cratères tapissaient la surface de la Lune, que divers satellites tournaient autour de Jupiter, que la Voie lactée, loin d’être une simple tache diffuse, était composée d’une myriade d’étoiles, etc. Cet ensemble de constatations venait remettre en question cette croyance que les corps célestes, puisque divins, se devaient d’être parfaits et que la Terre ne pouvait qu’être au centre du monde. Malgré ces preuves accablantes, ceux qui eurent la chance de regarder à travers la lunette de Galilée n’arrivaient pas à y croire. Selon eux, ces images qui remettaient en question leur conception divine et géocentrique du monde se trouvaient dans la lunette même et n’avaient aucun rapport avec la « réalité », c’est-à-dire avec leurs dogmes.

Il en va ainsi de tous ces technophiles en éducation.

Prisonniers de l’idéologie techniciste et participant aveuglément au mythe du progrès qui tente de nous convaincre que la solution à tous nos problèmes repose encore et toujours sur l’utilisation de plus de technologies, ils s’obstinent à foncer tête baissée, à s’accrocher à leurs croyances en s’entourant d’une ribambelle de gadgets affriolants qui demain seront remplacés par d’autres tout aussi aguichants.

Mais un jour, tous ces croyants invétérés n’auront d’autre choix que de se rendre à l’évidence : ces technologies sont antisociales, engourdissent l’âme et l’esprit, sont vectrices d’angoisse, d’anxiété et de dépression, retardent le développement du corps, des sens, du langage et de l’empathie chez l’enfant et phagocytent cette attention si essentielle au monde de l’éducation.

Deux produits addictifs

Combien d’années, d’efforts et d’enquêtes a-t-il fallu pour comprendre, mais surtout admettre que le tabac était nocif pour la santé, qu’il provoquait le cancer en plus d’hypothéquer grandement la qualité de vie des fumeurs et de tous ceux qui vivaient autour d’eux ? La bataille a été longue, surtout face à des entreprises qui n’ont pas hésité à mentir et à subventionner des chercheurs véreux pour qu’ils produisent des études bidon qui niaient les effets nocifs de la consommation du tabac.

C’est un peu le même stratagème qui est déployé depuis des années concernant les supposées vertus des outils numériques dans le monde de l’éducation. Que de promesses non tenues ! Que de sommes d’argent dépensées en pure perte ! Et combien d’apôtres, de complices, de vendeurs du temple ou d’idiots utiles dans cette vaste supercherie ! D’ailleurs, les campagnes de marketing déployées par les seigneurs du numérique depuis des années pour s’immiscer dans le monde de l’éducation ressemblent étrangement à la propagande utilisée jadis par les cigarettiers pour vanter les mérites de leurs produits et créer des habitudes de consommation, voire de la dépendance.

Tout comme nous avons fini par trouver tout à fait normal qu’il soit interdit de fumer dans des lieux publics, espérons que rapidement il en soit de même avec l’utilisation et même la présence du téléphone intelligent et des autres applications numériques dans nos établissements d’enseignement.

Pour y arriver, toutefois, le ministre de l’Éducation devra, d’ici la rentrée scolaire de l’automne, admettre que le système d’éducation a erré et que ces applications numériques n’ont pas leur place à l’école. Ce n’est qu’à partir de ce signal clair envoyé par le ministre que les enseignants et les directions d’école trouveront enfin le courage et l’autorité nécessaires auprès des élèves et des parents pour interdire ces objets de distraction déshumanisants dans nos écoles.

1. Lisez l’article « Rapport de l’UNESCO : “Le téléphone n’a pas sa place en classe” » 2. Lisez l’article « La tyrannie du téléphone intelligent » 3. Lisez l’article « Ces enfants sacrifiés sur l’autel du numérique » 4. Lisez « Connectés pour apprendre ? Les élèves et les nouvelles technologies, Rapport de l’OCDE, 2015 » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion