La crise du logement n’est pas une abstraction pour les milliers de ménages à la recherche d’un logement abordable. Le PDG de Centraide du Grand Montréal vient de lancer un cri du cœur⁠1 avec une centaine de cosignataires. Les besoins sont pressants, surtout pour venir en aide aux populations vulnérables.

Cependant, accroître de 5 % à 7 % la part du logement subventionné dans le parc résidentiel montréalais, comme le préconise Centraide, aussi souhaitable que cela soit, n’arrêtera pas la crise qui s’annonce.

Toutes les pièces sont alignées pour une tempête parfaite. Côté demande, des hausses inévitables, pas seulement à Montréal, mais dans toutes les villes du Québec, nourries notamment par l’immigration.

Côté offre, elle aura de plus en plus de difficulté à suivre à cause des coûts élevés de financement et de construction et des pénuries de main-d’œuvre, mais aussi à cause de politiques qui vont dans le sens inverse de la stimulation de l’offre. Résultat inéluctable : des prix qui montent. On n’a encore rien vu.

L’avantage québécois

Pour comprendre ce qui nous attend, mettons notre « crise » en contexte. En logement aussi, le Québec est une société distincte. Le Québec réussit mieux que le reste du Canada à limiter les prix. La part des ménages locataires qui consacre plus de 30 % du revenu au logement est de 28 % à Montréal (au dernier recensement) contre 41 % pour Toronto, ou encore de 21 % à Drummondville contre 43 % pour Peterborough, villes de tailles comparables. De plus, ce pourcentage a baissé dans toutes les villes du Québec entre 2016 et 2021, passant de 30 % à 24 % à Québec. Dit autrement, les loyers ont crû moins vite que les revenus, tendance à protéger.

Regardons la relation loyer/prix, que j’ai examinée pour 135 villes canadiennes. Sans surprise, le niveau des loyers est étroitement corrélé au prix des maisons (r = 0,81). Or, les villes québécoises affichent systématiquement des loyers en deçà du montant prédit par la valeur des maisons. Les ménages québécois jouissent d’un double avantage : l’immobilier y est moins cher et les loyers y sont aussi indépendamment plus bas, résultat largement attribuable au TAL (tribunal administratif du logement, l’ancienne Régie), une innovation québécoise qui, de toute évidence, joue bien son rôle de modérateur des hausses de loyer.

Perdre l’avantage

Le Québec se distingue aussi par son approche sociale à l’endroit des infrastructures urbaines, financées par tous les contribuables et non pas par des charges particulières. C’est cet avantage que le Québec risque bientôt de perdre. Les villes québécoises peuvent désormais, comme en Ontario, imposer des redevances aux promoteurs qui, en principe, ont pour fonction de financer des infrastructures (égouts, rues, écoles, etc.) associées aux projets résidentiels. La logique est, a priori, impeccable : faire payer aux nouveaux résidants (car le coût leur sera forcément transmis) les besoins en infrastructures qu’ils ont créés. Voici aussi une nouvelle source de revenus pour les villes qui en ont urgemment besoin. Peut-on blâmer les villes de sauter sur cette ouverture ?

Pourtant, l’impact des redevances sur la construction domiciliaire peut déjà se deviner grâce à l’expérience ontarienne. Premièrement, puisqu’exigées à l’entrée, les redevances peuvent décourager les petits entrepreneurs/promoteurs, d’où un marché oligopolistique en Ontario, plus figé. Deuxièmement, le coût sera forcément passé au consommateur, autre impact haussier sur les prix.

Nous sommes encore loin au Québec des redevances ontariennes qui peuvent atteindre 80 000 $ par porte (à Toronto, pour un appartement de deux chambres à coucher). Mais c’est une pente glissante. Les redevances sont bien trop alléchantes comme source de revenu, d’autant plus facile à étendre que le calcul du lien réel avec les infrastructures n’est pas une science exacte, laissant une large marge de manœuvre aux villes.

Les villes ontariennes ne peuvent plus faire marche arrière, les redevances étant devenues des sources indispensables de revenu, mais prises en parallèle avec des logements moins abordables.

Dans tout ça, il ne faut pas perdre de vue les vases communicants entre le logement social et le marché. C’est la sclérose de l’offre de marché qui propulse les prix et engendre, ultimement, les besoins en logement social. Toronto, un marché moins fluide, compte proportionnellement plus de locataires dans des logements sociaux : 13,3 % contre 7,8 % à Montréal.

Toute nouvelle construction, même sans logement social, a un effet salutaire sur l’abordabilité, laissant moins de ménages pour faire pression sur le marché.

Comment inciter les villes à stimuler la construction domiciliaire ? La recette miracle n’existe pas. Mais, au moins faudrait-il qu’elles ne nuisent pas, même involontairement, à la construction. Leur enlever carrément le droit de bloquer de nouvelles constructions (c’est le cas, je pense, au Japon) est impensable ici. Nos municipalités tiennent à leur droit de planifier leurs territoires. Plafonner les redevances, d’accord ; mais il faudra alors indemniser les municipalités. Mais surtout, pour protéger l’héritage québécois de financement collectif des infrastructures urbaines (condition d’un marché immobilier réactif), Québec doit prendre un engagement ferme en faveur de la construction domiciliaire, inscrit dans la nouvelle politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire, accompagné de moyens financiers pour faciliter l’aménagement de terrains à des fins domiciliaires.

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