La dernière annonce de hausse des seuils d’immigration permanente au Canada n’était pas tellement surprenante.

On a tendance à interpréter la hausse comme étant une politique délibérée et idéologique, mais il y a aussi le concours de circonstances qui a fait en sorte que les propositions de l’Initiative du siècle, alignées certes avec le discours d’ouverture et de diversité du Parti libéral du Canada, sont tombées à un moment où Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) commençait à perdre le contrôle sur l’immigration canadienne.

C’était inévitable. Le Canada ne pouvait augmenter sans limites son immigration temporaire, invitant en particulier les étudiantes et étudiants étrangers à venir et à rester, sans augmenter ses seuils d’immigration permanente.

Politiquement, il ne peut renvoyer les personnes diplômées au pays et ayant contribué à l’économie canadienne pendant plusieurs années. D’où les programmes spéciaux récents et annoncés de régularisation des personnes à statut temporaire, ainsi que des personnes non documentées, un autre phénomène qui augmente avec l’immigration temporaire.

Le gouvernement de la CAQ affectionne plutôt le Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET)⁠1. Au Canada, au 31 décembre 2022, les titulaires de permis de ce programme représentaient 7,5 % de l’ensemble des titulaires de permis des trois programmes d’immigration temporaire. Au Québec, ils en constituaient 17,5 %. Comme le Canada, le Québec augmente le nombre de travailleurs temporaires, mais, contrairement au Canada, le Québec refuse d’augmenter ses seuils d’immigration permanente.

Des résultats chaotiques

Ultimement, les résultats sont chaotiques et marqués par l’improvisation :

– les délais de traitement des demandes de certificat de sélection du Québec (CSQ) s’étirent pour l’ensemble des catégories permanentes – économique, familiale et humanitaire. Ce document est délivré par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) et est préalable à la résidence permanente au Québec ;

– le Québec ralentit sa sélection pour ne pas dépasser les seuils permanents planifiés ;

– IRCC ralentit aussi la délivrance des visas de résidence permanente pour les détenteurs du CSQ pour ne pas dépasser les seuils établis par le Québec ;

– de plus en plus de personnes immigrantes francophones⁠2 – temporaires au Québec et permanentes de l’étranger – décident de faire leur demande de résidence permanente dans une autre province. (Un cadeau au fédéral qui veut augmenter l’immigration francophone hors Québec.)

Jetant la responsabilité des délais de traitement des demandes de résidence permanente sur IRCC et la pandémie, Jean Boulet, ancien ministre du MIFI, a négocié avec le fédéral un permis de travail temporaire ouvert dans le cadre du Programme de mobilité internationale. On l’appelle le PMI+. Ce permis, aussi délivré par le fédéral, est offert aux personnes avec un CSQ en attente de leur résidence permanente. Il permet à celles déjà au Québec de continuer à travailler ici et à celles à l’étranger de venir s’établir en sol québécois.

Mais si le Québec refuse d’augmenter ses seuils d’immigration permanente, ses gens vont demeurer avec un statut temporaire très longtemps.

Le prochain phénomène qu’on risque de voir sera celui des personnes francophones sélectionnées par le Québec et travaillant au Québec avec un permis PMI+ qui décident de déménager et de faire une nouvelle demande de résidence permanente dans une autre province parce qu’elles se lassent de l’attente et qu’elles veulent pouvoir planifier leurs vies.

Le gouvernement a beau promettre de sélectionner 100 % d’immigration francophone, les délais pour obtenir la résidence permanente font perdre au Québec des personnes immigrantes francophones au profit d’autres provinces ou territoires. Où est la logique ? Si ces personnes souhaitent s’établir au Québec, elles peuvent y venir à la suite de leur admission au Canada, car il n’y a pas d’obstacles à la mobilité des résidents permanents. Mais cela a pour effet de laisser au fédéral et aux autres provinces la sélection.

Les consultations organisées par le MIFI qui auront lieu dans les prochains mois établiront les paramètres de l’immigration au Québec pour au moins trois ans sans pour autant fournir une vision d’avenir. Ce n’est pas de la planification, mais plutôt de la gestion réactive dont les résultats continueront d’être chaotiques. Il ne suffit pas de dire où l’on ne veut pas aller en dénonçant l’Initiative du siècle. Il s’agit de répondre à une autre question : où va-t-on, et surtout, où veut-on aller ?

Il est crucial que le gouvernement soit entièrement transparent sur l’ensemble des enjeux, tant envers la population d’accueil sur la façon dont il propose de gérer le nombre et le rythme des arrivées qu’envers les personnes qui arrivent sur les dures réalités de leur statut. La question de l’immigration temporaire sans limites présente trop d’enjeux négatifs pour être exclue du débat. L’objectif est un retour à un système d’immigration permanent fonctionnel.

1. Lisez la chronique de Francis Vailles 2. Lisez l’article de Suzanne Colpron Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion