Vous pensez que le Québec a reçu beaucoup de travailleurs étrangers temporaires l’an dernier ? Que l’immigration a été forte ? Vous n’avez probablement rien vu.

Les postes dernièrement approuvés par les autorités qui se traduiront normalement par de l’immigration temporaire ont explosé ces derniers mois. Et on ne parle plus seulement des travailleurs agricoles, souvent saisonniers, mais de travailleurs dans une multitude de métiers et de professions demandés.

Informaticiens, soudeurs, cuisiniers, infirmières, bouchers : les postes sont extrêmement variés et seront bientôt pourvus dans toutes les régions du Québec, à la mesure de la pénurie de main-d’œuvre qui sévit.

Les données que j’ai auscultées viennent de la firme de recrutement Auray, affiliée à Raymond Chabot Grant Thornton. Essentiellement, Auray a compilé les postes offerts par les entreprises aux travailleurs étrangers dont l’évaluation a été jugée favorable par Ottawa et Québec. Ces postes doivent faire l’objet d’une « évaluation d’impact sur le marché du travail (EIMT) », comme le veut le jargon bureaucratique. Auray les a extirpés des bases de données du ministère Emploi et Développement social Canada.

Résultat ? Plus de 61 125 ont été approuvés en 2022, un bond de 81 % par rapport à 2021. La hausse est surtout explosive durant les 2 derniers trimestres de 2022.

En 2019, l’essentiel de ces postes visait le travail dans les champs (71 %), mais cette proportion est passée à 45 % en 2022, si bien qu’aujourd’hui, près de 34 000 concerneront des métiers et professions non agricoles, bref des emplois que cherchent avidement à pourvoir les entreprises.

Ces quelque 34 000 postes non agricoles de 2022 sont 3,5 fois plus nombreux qu’en 2021 !

Ces postes dont l’évaluation d’impact (EIMT) a été approuvée sont un indicateur précurseur de l’éventuelle croissance de l’immigration temporaire, en quelque sorte. Pourquoi ? Parce que la plupart du temps, il y a un certain délai entre cette approbation — essentielle – et l’obtention officielle d’un permis de travail et l’immigration à proprement parler.

Pour les travailleurs venant de pays occidentaux ou du Mexique et du Chili, les ressortissants sont dispensés de visa et les permis de travail sont délivrés rapidement à l’entrée au pays. Ce n’est toutefois pas le cas d’autres pays, notamment du Maghreb et des autres pays africains, où les futurs travailleurs doivent faire des démarches avant leur arrivée au Canada.

Par exemple, les délais sont de 9 semaines en France, contre 14 semaines au Maroc et 20 semaines en Tunisie, m’explique Jean-Sébastien Plourde, le directeur chez Auray, qui est responsable de cette recherche. Le programme d’immigration en question, qui exige une approbation de l’EIMT, s’appelle le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).

Ce recours des entreprises au PTET est en train de rééquilibrer le marché du travail. Il comble des besoins spécifiques selon les professions et les régions, dans la ligne de pensée du gouvernement Legault.

Jean-Sébastien Plourde, directeur chez Auray

Les données officielles d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada confirment que le boom des approbations de 2022 commence à se traduire par des hausses de nombre de permis de travail PTET en 2023. Ainsi, au premier trimestre de 2023, le nombre de nouveaux titulaires de permis a doublé par rapport au même trimestre de 2022, à 13 600. Et 2022 était déjà en hausse sur l’année précédente ou encore sur l’année prépandémique normale de 2019 (+65 %).

Qu’est-ce qui explique l’explosion ? Deux raisons, essentiellement, selon M. Plourde. D’abord, les entreprises ont davantage eu recours au PTET pour combler leurs besoins, vu la pénurie de main-d’œuvre. Les entreprises en ont ardemment besoin, et investissent pour les retenir longtemps : les démarches coûtent environ 11 000 $ par emploi, tout compris.

Ensuite, il y avait un certain retard dans le traitement des demandes au fédéral, qui a été comblé. Il y a un an, il fallait 60 jours pour que les entreprises reçoivent leur approbation EIMT pour des employés de métier. Or, ce délai était tombé à 33 jours en février 2023. Et pour la catégorie des talents mondiaux — les cerveaux recherchés partout sur la planète —, le temps d’attente n’est plus que de 9 jours, en moyenne. La pandémie a peut-être été un facteur dans l’allongement des délais.

Le rattrapage sur l’inventaire et un possible ralentissement économique pourraient éventuellement réduire le flot, mais d’ici là, les nouveaux travailleurs aux accents colorés seront plus nombreux, à Montréal comme ailleurs (voir autre texte).

La plupart du temps, les travailleurs temporaires cherchent à « permanentiser » leur statut d’immigration, éventuellement, d’autant que leur permis de travail a une durée d’au plus deux ans ou trois ans, selon la situation, quoiqu’il soit renouvelable.

« Les travailleurs temporaires finissent par s’enraciner en région, apprennent le français et deviennent fidèles à l’employeur qui les a embauchés. C’est un facteur de rétention important pour les entreprises », dit Jean-Sébastien Plourde, de la firme Auray.

Les plus qualifiés pourraient faire une demande en vertu du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) ou du Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ). Ces voies se sont cependant obstruées sous la CAQ, ainsi que l’expliquait mon collègue Philippe Mercure⁠1. Le gouvernement devra faire un ménage, surtout avec le flot de nouveaux travailleurs étrangers qui se présentent.

Soudeur à Victoriaville, éducatrice en Abitibi

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Les données sont si précises qu’elles permettent de savoir que l’Abitibi-Témiscamingue a reçu son approbation pour embaucher 3 éducatrices à la petite enfance, Laval 14, la Montérégie 24 et Montréal, 77.

Les entreprises ont massivement recours au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) pour combler leurs besoins. Soudeur à Victoriaville, informaticienne à Québec, infirmier à Montréal : voilà le genre de postes que les entreprises cherchent à pourvoir.

Parmi les grandes régions du Québec, cinq se sont démarquées en 2022, selon les données de la firme Auray. À elle seule, la Montérégie est responsable de près de 1 poste sur 5 offert aux futurs travailleurs étrangers temporaires non agricoles (6200 postes). Montréal et la Capitale-Nationale complètent le trio de tête, avec près de 7400 et 4600 postes⁠1.

Auray a pu faire cette ventilation par régions en utilisant le code postal indiqué sur les demandes faites par les entreprises à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Les données sont si précises qu’elles permettent de savoir que l’Abitibi-Témiscamingue a reçu son approbation pour embaucher 3 éducatrices à la petite enfance, Laval 14, la Montérégie 24 et Montréal, 77.

Les employeurs s’en remettent également au PTET pour embaucher dans le secteur de la santé. Quelque 1200 postes d’infirmières sont ou seront pourvus prochainement par des travailleurs temporaires, dont le permis de travail a une durée de deux ou trois ans, maximum, quoiqu’ils soient renouvelables.

Pourra-t-on se passer d’eux après ?

Ce sont les postes qui requièrent peu de qualifications qui, au bout du compte, sont les plus demandés par les employeurs, à l’image de la pénurie. Dans les 10 premiers de la liste se trouvent les manœuvres dans le secteur de la transformation alimentaire, ceux pour l’aménagement paysager ou encore les cuisiniers. Le secteur informatique, associé à une bonne paye, est également bien représenté.

Fait remarquable : il y a peu d’ouvriers de la construction, malgré la forte demande dans ce secteur au Québec. Que font nos entreprises ? Sommes-nous trop réglementés ?

Autre angle d’analyse : les postes approuvés selon le niveau de salaire ou la catégorie. Les données permettent ainsi de constater que 58 % des emplois sont dans la catégorie des bas salaires (moins de 25 $ au Québec), 32 % des hauts salaires (25 $ ou plus) et 10,4 % dans les talents mondiaux (ingénieurs, informaticiens, etc.).

Grande différence Québec-Canada

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le Québec recueille beaucoup plus de candidats qualifiés de « talent mondial » que le reste du Canada. Il s’agit de candidatures sélectes, recherchées partout sur la planète (informaticiens, ingénieurs, etc.).

Le Québec a une approche nettement différente du reste du Canada pour alimenter son marché du travail d’immigrants dits temporaires.

Les travailleurs temporaires obtiennent leur permis de travail en vertu de deux programmes, essentiellement. Le premier, soit le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), est bien davantage utilisé par les entreprises du Québec. Il s’adresse notamment aux travailleurs qui sont à l’étranger, mais ses paramètres exigent que soit faite une évaluation des impacts sur le marché du travail (EIMT), qui doit être approuvée par le fédéral et avalisée par Québec.

Le second, soit le Programme pour la mobilité internationale, est bien plus souvent utilisé dans les autres provinces. Il touche beaucoup de résidents non permanents déjà ici, comme les étudiants étrangers. Aucune évaluation EIMT n’est nécessaire pour accorder le permis de travail.

En additionnant les deux programmes, qui comprennent le secteur agricole, on constate que 90 310 travailleurs temporaires du Québec ont effectivement reçu leur permis de travail en 2022, contre 223 000 en Ontario, selon les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

Ce niveau du Québec, bien qu’inférieur à l’Ontario, est bien au-dessus de la cible de 50 000 immigrants fixée par la CAQ. Et on s’attend maintenant à en recevoir davantage en 2023, selon les chiffres analysés par la firme Auray.

En plus de l’important écart du nombre, on note deux différences entre les deux provinces. Au Québec, 43 % des temporaires ont eu ce permis par le truchement du PTET, contre seulement 18 % en Ontario, tel qu’expliqué plus haut. Autre distinction : au Québec, seulement 18 % des travailleurs temporaires sont de récents diplômés d’un établissement local, contre 32 % en Ontario.

Le Québec est donc plus pointilleux dans le recrutement de ses travailleurs temporaires.

Davantage de talent mondial au Québec

Une consolation, mais tout une : le Québec recueille beaucoup plus de candidats qualifiés de « talent mondial » que le reste du Canada. Il s’agit de candidatures sélectes, recherchées partout sur la planète (informaticiens, ingénieurs, etc.).

En 2022, 44 % des 8026 talents mondiaux venus au Canada se sont retrouvés au Québec. Cette part est bien plus importante que le poids du Québec dans la part globale des travailleurs étrangers canadiens de 2022 (15 %). Il appert que les organismes Montréal International et Québec International y sont pour quelque chose, me dit Jean-Sébastien Plourde, de la firme de recrutement Auray.

Ces candidatures « talent mondial » obtiennent très rapidement leur approbation du gouvernement fédéral pour l’évaluation d’impact du PTET. Le délai cible après une demande en bonne et due forme par une entreprise est d’un maximum de 10 jours.

1. Lisez « Se tirer dans le pied avec l’immigration »