Baissera, baissera pas ? Les Canadiens attendent impatiemment une baisse du taux d’intérêt directeur de la Banque du Canada, une baisse vue comme salutaire, notamment pour le marché immobilier.

Malheureusement, il faudra probablement être plus patient que prévu, bien que l’inflation ait ralenti, si l’on se fie au vénérable expert Jean-Guy Desjardins, PDG de Fiera Capital. La raison ? Le Canada dépend des États-Unis, où l’inflation demeure élevée en raison d’une croissance économique surprenante.

« Personnellement, je pense que la Banque du Canada n’initiera pas à court terme une baisse de taux d’intérêt sans que les États-Unis soient aussi arrivés à un stade d’assouplissement monétaire, ou très près », a-t-il dit lundi matin lors d’une conférence organisée par l’Institut sur la gouvernance (IGOPP).

La conférence avait lieu la veille de la publication des données d’inflation de Statistique Canada du mois de mars, le mardi 16 avril.

Le fondateur de Fiera Capital prend rarement la parole en public. Ses propos sont néanmoins suivis, étant donné le parcours impressionnant du gestionnaire.

Jean-Guy Desjardins est l’un des entrepreneurs financiers qui a connu le plus de succès au Canada depuis un quart de siècle. Fiera, de Montréal, a un actif sous gestion de plus de 160 milliards de dollars et son entreprise compte quelque 850 employés (en comparaison, l’énorme Caisse de dépôt et placement a un actif de 434 milliards).

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Guy Desjardins

L’homme d’affaires a repris la direction de Fiera en janvier 2023, bien qu’il ait passé l’âge normal de la retraite (il aura 80 ans l’automne prochain).

Son allocution de lundi, bien structurée, démontre la direction opposée que prennent le Canada et les États-Unis en matière de croissance économique et d’inflation.

Aux États-Unis, l’économie croît à un rythme réel de 2,5 %, soit au-delà de son potentiel de 1,8 % à 2 %. La création mensuelle d’emplois avoisine les 275 000 depuis un an, alors que le potentiel est de 200 000.

Cette progression plus rapide des paramètres économiques américains est de nature à engraisser l’inflation, qui a atteint 3,5 % en mars par rapport au même mois de l’année précédente, contre 3,2 % en février. Les salaires américains, de leur côté, augmentent au rythme annuel de 4,5 %, au-delà de l’inflation.

La situation du Canada est tout autre. L’afflux d’immigrants a fait passer la croissance potentielle de l’économie de 1,5 % à 2,5 %. Or, la Banque du Canada estime que la progression réelle de l’économie sera de 1,5 % en 2024.

Le taux d’inflation annualisé des derniers mois au Canada est d’ailleurs sous la moyenne annuelle, signe de la tendance baissière de l’inflation, alors que c’est l’inverse aux États-Unis.

« Aux États-Unis, non, les conditions ne sont assurément pas en place pour justifier l’initiation d’un assouplissement monétaire [de la part de la Réserve fédérale]. Par contre, au Canada, oui, les caractéristiques économiques sont extrêmement favorables à un assouplissement monétaire en juin ou juillet », explique Jean-Guy Desjardins.

Cette différence de contexte économique risque de reporter sinon d’amoindrir la baisse de taux au Canada. Toute baisse de taux d’intérêt ici sans équivalent américain risque de faire pression à la baisse sur le dollar canadien. Et cette baisse de la devise hausserait le prix des importations, ce qui alimenterait l’inflation canadienne.

« La Banque du Canada va-t-elle aller à l’encontre du positionnement de la banque centrale américaine, avec les implications d’une telle décision ? », se demande Jean-Guy Desjardins.

Le PDG de Fiera croit tout de même que le taux directeur reculera de 0,50 à 0,75 point de pourcentage au Canada d’ici la fin de 2024 (il est à 5 % actuellement). Pendant ce temps, la Fed américaine optera pour une baisse de seulement 0,25 point.

Et après ? Selon M. Desjardins, le taux d’intérêt directeur canadien continuera de baisser en 2025 pour atteindre la neutralité de 3 % à 3,25 % vers la fin de 2025, moment où l’inflation approcherait les 2 %.

Pendant ce temps, le taux d’inflation ne descendra pas en bas de 2,5 % aux États-Unis avant la fin de 2026, et ce n’est qu’en 2027 que le taux d’intérêt directeur de la Fed avoisinera le taux jugé neutre de 3,25 %.

De son côté, l’économiste en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion, juge que l’avenir économique n’a jamais été aussi difficile à prévoir, a-t-il dit lors de son allocution. Parmi les risques, il y a évidemment les conflits militaires, l’endettement américain colossal et les exigences coûteuses de la décarbonation.

Les titres se vendent cher sur les marchés boursiers, notamment en raison des multiples cours-bénéfice très élevés – trop élevés – portés par les promesses de l’intelligence artificielle.

Desjardins est optimiste sur cinq ans

En dépit des incertitudes économiques, Jean-Guy Desjardins est relativement optimiste, jugeant que notre économie est au début d’un cycle de croissance de cinq à huit ans. « Si je travaillais avec un client pour faire une politique de placement sur un horizon de 5-10 ans, mon scénario le plus probable serait relativement optimiste. »

À plus court terme, son scénario de récession américaine n’est plus que de 20 %, comparativement à 50 % pour celui d’un atterrissage en douceur. La probabilité d’un retour de l’inflation est estimée à 30 %.

Bref, la question se pose : le Canada devra-t-il réduire davantage ses taux d’intérêt et accepter une monnaie plus faible, encore une fois, pour relancer son économie ?