Un gros déficit ? Pas si grave, entend-on parfois.

Les partisans du laisser-aller budgétaire au Québec devraient jeter un œil à ce qui se passe en Colombie-Britannique. La province des Rocheuses vient d’être décotée par la prestigieuse agence S&P, un évènement rare.

Et une autre agence, Moody’s, a servi un avertissement au gouvernement britanno-colombien, en accolant une perspective négative à sa cote de crédit.

La décote survient à quelques mois des élections de cette province, prévues le 19 octobre prochain. Imaginez le débat !

Que se passe-t-il ? Le gouvernement provincial du NPD, à gauche du spectre, a choisi d’ouvrir tout grand le robinet des dépenses. Il investira massivement dans les projets d’infrastructure de santé et de transport, en plus de financer des mesures pour accroître l’offre de logements et améliorer leur abordabilité.

L’agence S&P ne porte pas de jugement sur les choix du gouvernement. Elle avertit toutefois les prêteurs que la province a relâché sa discipline budgétaire et que sa situation financière (déficit et dette) se détériora considérablement au cours des deux prochaines années.

D’accord, la province est l’une des plus sévèrement touchées par la crise du logement, la hausse du coût de la vie et la croissance de la population. Les décisions du gouvernement ne sont donc pas déconnectées.

Mais selon l’agence, d’autres provinces sont aux prises avec des problèmes semblables, sans avoir dopé d’autant leurs déficits. « La performance budgétaire de la Colombie-Britannique sera la plus faible de ses pairs », écrit l’agence.

S&P a non seulement abaissé la cote de la dette à long terme de la province de AA à AA-, mais elle a aussi évoqué la possibilité d’une autre décote si les choses ne changent pas d’ici trois ans.1

La province avait la meilleure cote de crédit des provinces canadiennes. Mais avec cette décote, les taux d’intérêt d’emprunt de la province augmenteront, alourdissant les frais d’intérêt. Et une fois ouvert, le robinet des dépenses sera difficile à fermer.

Et le Québec ?

Et alors ? La situation n’est pas sans rappeler celle du Québec. Le Québec aura un déficit de 7,3 milliards au cours de la prochaine année, soit 6,6 milliards de plus que prévu.

En décortiquant les chiffres, on constate toutefois que notre situation n’est pas aussi dramatique que celle de la Colombie-Britannique, du moins pour l’instant.

L’agence S&P évalue la situation d’une province en mesurant son déficit budgétaire en proportion de ses revenus, mais surtout, le déficit qui englobe les dépenses d’investissement annuelles.2

En Colombie-Britannique, ce second déficit atteindra 20,1 % des revenus du gouvernement au cours de la prochaine année. Il a été multiplié par cinq depuis trois ans.

Au Québec, ce même déficit ne devrait pas être aussi élevé. L’automne dernier, S&P prévoyait qu’il atteindrait 8,4 % des revenus en 2024-2025, comparativement à 6,2 % en Ontario.

Le rapport de S&P sur le Québec a toutefois été publié en novembre dernier, après la mise à jour budgétaire optimiste du gouvernement caquiste. Depuis, le déficit prévu pour 2024-2025 a explosé, avec les ententes conclues avec les syndicats.

Et désormais, il est bien possible que le déficit tel que mesuré par S&P franchisse la barre du 10 % des revenus au cours des 2 prochaines années.

Pourquoi craindre le seuil de 10 % ? Parce que S&P avertissait dans son rapport sur le Québec que « des déficits de plus de 10 % des revenus totaux et une croissance importante du fardeau de la dette pourraient nous amener à abaisser notre cote ». Ouch !3

Pour l’instant, le Québec conserve une cote de AA- chez S&P, qui est maintenant au deuxième rang des meilleurs des provinces canadiennes après la Saskatchewan (AA), et à égalité avec l’Alberta (AA-). La Colombie-Britannique suit, avec une cote de AA-, avec perspective négative. Les rapports de S&P sur la nouvelle situation du Québec et de l’Ontario (qui est à A+) devraient paraître en juin.

Au téléphone, l’analyste responsable de ces rapports de S&P, Bhavini Patel, m’indique que c’est la trajectoire croissante des déficits et de la dette de la Colombie-Britannique qui est préoccupante. « Je ne crois pas que la situation du Québec ressemblera à celle de la Colombie-Britannique », me dit-elle.

Pourquoi le Québec a-t-il une cote identique à celle de l’Alberta, dont la dette est bien moindre ? En partie parce que les agences de crédit jugent que le Québec est en mesure de financer sa dette par des recettes fiscales plus élevées qu’en Alberta, dont les contribuables sont allergiques aux taxes.

Autrement dit, l’indicateur phare de ces agences – le déficit par rapport aux revenus – est plutôt de nature à favoriser le Québec et ses mesures sociales, en quelque sorte. Les détracteurs des agences auraient intérêt à en prendre note.

Cela dit, le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique sont loin d’être dans des situations aussi dramatiques que l’Argentine (cote de CCC) ou de la Grèce (BB-). S&P juge que ces provinces ont des économies solides et diversifiées, somme toute.

Le Canada, pour l’instant, conserve sa cote de AAA, la meilleure qui soit, comme c’est le cas d’une demi-douzaine de grands pays, dont l’Allemagne, l’Australie et les Pays-Bas.

Avec ses déficits importants à répétition, le Canada n’est toutefois pas à l’abri d’une décote, comme on l’a vu en Colombie-Britannique. À suivre attentivement après le budget fédéral de mardi…

1. De fait, la nouvelle cote AA est accolée d’une perspective négative, signe d’une possible autre décote à venir.

2. Normalement, la portion annuelle des investissements du gouvernement n’est pas inscrite comme une dépense, donc n’est pas comprise dans le déficit. Par ailleurs, S&P exclut du solde budgétaire les dépenses d’amortissement, notamment.

3. En mars, après le budget du Québec, les analystes d’une autre agence (Moody’s) écrivaient que « la baisse des résultats budgétaires est un constat négatif de crédit », sans toutefois aller jusqu’à accoler une perspective négative à la cote du Québec.