Le 16 mars dernier, la Distillerie du St. Laurent s’est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité afin de faire une proposition à ses créanciers. La nouvelle a créé une onde de choc. Nous sentons un réel élan de sympathie envers notre équipage et notre projet. Nous vous en remercions sincèrement.

Nous l’avons répété souvent depuis nos débuts en 2015 : au-delà des objectifs d’affaires, notre Distillerie est avant tout un puissant levier de développement régional et une fierté pour les Bas-Laurentiens. Depuis, elle est aussi devenue un lieu de rassemblement au bord du fleuve et, nous l’espérons, un legs pour les prochaines générations.

La hausse des coûts de construction de notre nouvelle distillerie, résultat du contexte pandémique puis l’augmentation importante des taux d’intérêt, font partie des causes de notre situation financière précaire qui était difficile, voire impossible à prévoir.

Mais c’est la perte de plus de la moitié de nos points de vente à la SAQ en quelques années qui nous fait réellement le plus mal.

Au Québec, une distillerie vit ou meurt avec la SAQ.

La production de spiritueux, c’est payant pour l’État, pas pour les artisans. Dans un contexte législatif où nous ne pouvons pas distribuer nos produits ailleurs qu’à la SAQ et où le ministère des Finances récolte plus d’argent lorsqu’on vend sur nos propres lieux de production, il est évident qu’il y a trop de distilleries pour assurer une rentabilité à chacune. Deux distilleries sur trois sont d’ailleurs déficitaires.

Une chose est certaine, il y a trop de spiritueux québécois pour l’espace disponible dans les magasins de la SAQ. Plus la SAQ a de produits à commercialiser, plus la distribution de chacun de ces produits diminue. Puisque le modèle d’affaires exige un très grand volume de vente afin d’atteindre le seuil de rentabilité, la cannibalisation étouffe tous les acteurs de l’industrie.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Simplement parce que la SAQ déroge de son mandat de saine gestion de l’offre selon la demande de ses clients. Le dossier est politique : pour perdurer, la SAQ doit demeurer pertinente aux yeux des citoyens québécois afin que son monopole ne soit pas remis en question. La SAQ évite donc de retirer des produits non performants, c’est-à-dire qui se vendent peu, de peur d’être identifiée comme le bourreau des distilleries québécoises.

Pourtant, tous les aliments et boissons commercialisés au Québec sont soumis à la loi de l’offre et de la demande. Même les vins, les bières et les prêts à boire vendus par la SAQ font l’objet d’une saine gestion de l’offre. Une seule catégorie de produits échappe à la loi universelle du commerce : les spiritueux québécois.

En laissant entrer systématiquement tous les spiritueux québécois sans analyser leur pertinence commerciale, la SAQ a instauré un cercle vicieux qui favorise la nouveauté au détriment de la performance.

Ainsi, la seule façon pour les distilleries de maintenir un certain seuil de distribution est de lancer un maximum de produits le plus rapidement possible, peu importe leur potentiel. Cette solution de survie individuelle à court terme met en péril l’ensemble de l’industrie à long terme.

Un monopole d’État ne peut ignorer sa mission d’appliquer les plus hauts standards de gestion au détriment de ses fournisseurs à qui on impose un lien de dépendance économique. Les distilleries méritent qu’on distribue davantage leurs produits s’ils sont plus demandés que leurs compétiteurs. Les clients, qui ne peuvent acheter des spiritueux chez d’autres détaillants, méritent de retrouver facilement à la SAQ les produits qu’ils veulent acheter. C’est juste et équitable. C’est sain et nécessaire.

Que certains de ses produits soient retirés des tablettes parce que les clients n’en veulent pas, c’est dur sur l’ego, mais compréhensible. Devoir fermer ses portes parce que le monopole d’État souhaite préserver son image et sa réputation en laissant les acteurs de l’industrie se cannibaliser, c’est inacceptable. C’est pourtant ce qui nous arrive en ce moment.

Si François Legault supprimait sa taxe à l’achat local sur les ventes aux lieux de fabrication, plusieurs distilleries y trouveraient leur compte et cela permettrait de libérer la pression sur les tablettes de la SAQ. Les autres provinces canadiennes considèrent déjà la production de spiritueux comme un véritable vecteur de développement économique et touristique, d’identité culinaire et de souveraineté alimentaire plutôt qu’une simple source de taxation.

La surtaxe prélevée sur les spiritueux vendus sur les lieux de fabrication a déjà été supprimée totalement ou partiellement ailleurs au Canada, en toute conformité avec les accords de commerce international. M. Legault aime se comparer aux autres provinces : on notera que le Québec est bon dernier à ce chapitre.

Il est probable que la SAQ réponde à cette lettre en affirmant qu’elle n’a jamais autant commercialisé de spiritueux d’ici. Justement, le problème est là. Il n’y a pas suffisamment de place pour l’ensemble des spiritueux québécois sur les tablettes de la SAQ. Il est impératif que la SAQ positionne ses clients au centre de ses décisions et qu’elle instaure une saine gestion de l’offre basée sur la moyenne des ventes par succursale. Pas dans deux ans, immédiatement.

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