Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous rappelle que nos politiques en place nous dirigent vers un réchauffement planétaire de 3,2 °C, mettant la vie telle que nous la connaissons en péril.

Il est donc facile de sombrer dans le doomerisme⁠1 – pour ceux qui ne sont pas déjà dévorés par l’écoanxiété. Toutefois, le budget du gouvernement fédéral égaie un peu l’humeur ambiante avec ses 83 milliards de dollars destinés à la transition énergétique.

Je suis optimiste, me direz-vous, mais je crois que nous sommes face à quelque chose comme le début d’un mouvement écologique.

Ce dernier est alimenté par l’alignement des technologies faibles en carbone (énergie renouvelable, thermopompes et mobilité durable et active) avec la volonté populaire et politique d’agir face à la crise climatique.

Si l’énergie renouvelable est le pilier de la transition énergétique, l’invasion russe en sol ukrainien, combinée à l’Inflation Reduction Act (IRA) du président américain Joe Biden, en est l’élément déclencheur.

L’invasion russe a déstabilisé les marchés mondiaux du gaz naturel et du pétrole, créant une demande massive pour la stabilité des systèmes énergétiques. À court terme, l’Europe s’est tournée vers le marché mondial afin d’obtenir du gaz naturel, mais il est particulièrement difficile et coûteux d’obtenir du gaz outre-mer ; il faut bâtir de coûteuses infrastructures et liquéfier le gaz. D’ailleurs, dépenser des milliards de dollars pour dépendre encore et toujours de forces étrangères est peu alléchant ; les pays cherchent donc la stabilité ainsi que les avantages économiques que l’énergie renouvelable offre. En outre, elle se déploie bien plus rapidement que les ports de gaz naturel liquéfié (GNL) et permet de réduire les GES.

Trilemme favorable

Le trilemme énergétique – économie, sécurité et environnement – joue dorénavant en faveur des énergies renouvelables. C’est d’ailleurs ce qui explique les ambitieuses politiques climatiques et industrielles européennes.

Cela dit, nous voilà de l’autre côté de l’Atlantique à l’été 2022 et l’inflation fait rage. Le président américain, voyant les élections de mi-mandat arriver, est avare de solutions et cherche à laisser sa marque – l’IRA sera son héritage. Ce sont des centaines de milliards de dollars qui sont destinés à stimuler l’économie verte⁠2.

PHOTO MARIAM ZUHAIB, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi ratifie l’Inflation Reduction Act, le 12 août 2022.

Le titre semble trompeur : comment pouvons-nous diminuer l’inflation avec des subventions ?

Eh bien, détrompez-vous, les prix élevés de l’énergie sont une source non négligeable d’inflation. Biden fait donc d’une pierre trois coups : il stimule l’économie américaine, réduit l’inflation et combat les changements climatiques. L’IRA prévoit réduire les GES américains de 42 %⁠3 entre 2005 et 2030. Pour les entreprises vertes, c’est le coup de pouce qu’elles attendaient.

Mais voilà que les milieux d’affaires européen et canadien sont inquiets : leurs concurrents se font offrir d’énormes subventions. Ils demandent donc à leurs propres gouvernements de faire de même. L’Europe obtient donc son Green New Deal, et le Canada offre une version canadienne de l’IRA à travers son dernier budget.

PHOTO YVES HERMAN, ARCHIVES REUTERS

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen présente le Plan industriel du pacte vert à Bruxelles. le 1er février 2023.

Dans les deux cas, ce sont des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars destinés à la transition énergétique. Les entreprises peuvent maintenant engranger des profits tout en diminuant leur empreinte carbone.

D’autres adapteront leurs modèles d’affaires pour s’attaquer à la crise climatique – chose qui ne serait pas possible sans ces programmes.

Est-ce suffisant ? Bien sûr que non et le GIEC fut des plus tranchants !

À titre d’exemple, la capture du carbone peut rendre « carboneutres » des projets pétroliers en haute mer, tels que Bay du Nord. C’est absurde : du pétrole, ça pollue. Ce qualificatif aux arrière-goûts d’écoblanchiment est possible uniquement parce qu’Ottawa calcule ses émissions avec des œillères⁠4. La même chose peut être dite de l’hydrogène bleu⁠5 qui serait aussi polluant que le charbon au vu des fuites de gaz naturel issues de la fracturation hydraulique. D’ailleurs, ces fuites mettent en péril la santé des habitants vivant à proximité.

À l’inverse, la sobriété énergétique ainsi que la mobilité active sont des mesures efficaces et abordables, mais omises de ce budget.

Il reste que ce budget tisse le réseau industriel nécessaire à une économie verte. Ces politiques sont à la fois remarquables et insuffisantes – nous ne sommes même pas près d’effectuer notre juste part pour rester sous 1,5 °C.

Le mouvement climatique doit donc s’accélérer et ce budget tend la main aux entrepreneurs afin qu’ils se joignent au mouvement.

1. Doomerisme (de l’anglais doomer) est un terme d’origine anglaise qui décrit l’inquiétude à propos de l’effondrement de la civilisation lié à la surpopulation, à la pollution et au réchauffement climatique, pouvant entraîner à terme l’extinction de l’humanité.

2. Lisez l’article de La Presse sur l’Inflation Reduction Act américain 3. Consultez le rapport The Climate and Energy Impacts of the Inflation Reduction Act of 2022 (en anglais) 4. Lisez la lettre d’opinion « L’éléphant dans la pièce du plan climatique fédéral »

5. Issu de la séparation du méthane (CH4) et combiné à la capture du carbone

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