D’accord, grimper sur le pont Jacques-Cartier et bloquer la circulation en criant que la fin du monde est proche, ce n’est pas une stratégie optimale de communication. Pour convaincre quelqu’un, il est préférable de ne pas l’embêter si tôt dans la journée. Les gens qui se soucient de l’avenir de l’humanité sont plus crédibles quand ils n’empêchent pas les malades de se rendre à l’hôpital…

Cela étant dit, comment parler de la crise climatique aux gens qui doutent de l’urgence d’agir ? Un bon point de départ serait de ne pas s’acharner à refaire ce qui fonctionne mal.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Des militants écologistes sont grimpés dans la structure du pont Jacques-Cartier, à Montréal, cette semaine.

Il est commun de blâmer le gouvernement ou les grandes sociétés pétrolières. Or, ce sont les citoyens qui brûlent ce pétrole et qui votent pour ces politiciens climato-passifs.

La stratégie populaire est de leur crier : « Écoutez la science », de préférence aussi fort que possible. Mais après deux décennies à marteler ce message, il faut en reconnaître les limites. Car dans ce combat, les écolos n’affrontent donc pas seulement la nature. Ils luttent aussi contre la nature humaine. Nos biais cognitifs nous prédisposent malheureusement à banaliser le grand défi de notre époque. Voilà pourquoi le coup d’éclat d’Extinction Rebellion risque de rater sa cible pour trois raisons : en nuisant à la compréhension, en décourageant l’action et en aggravant la division. Pas pour tous les gens, bien sûr, mais à tout le moins pour ceux qu’on a le plus besoin de convaincre : les indécis de bonne foi.

À cause de la crise climatique, des millions de personnes seront victimes de la montée des océans, des canicules extrêmes et d’autres dérèglements des écosystèmes. Mais est-ce que ce sera votre cas ? Difficile de savoir précisément qui souffrira, quand et comment. Or, les gens tendent justement à sous-estimer les risques impersonnels à long terme, et à percevoir davantage le coût immédiat que l’utilité future des solutions. Voilà pourquoi la crise climatique ne dérange donc pas autant qu’elle le devrait.

Face à ce blocage, Extinction Rebellion mise sur la peur. C’est comme si l’humanité dormait au pied d’un volcan en éruption, a expliqué un porte-parole. Il faut la réveiller à temps. Or, ce n’est pas parce qu’on comprend une menace qu’on y réagira. Les discours trop pessimistes risquent de créer un sentiment d’impuissance et d’apathie.

Des militants comme Dominic Champagne demandent de faire un « effort de guerre », qui mobiliserait toute la société. Sauf que cette fois, l’ennemi n’a pas de visage. Difficile de rendre la menace tangible et d’utiliser la loyauté de groupe comme motivation.

Les écolos disent que la science est objectivement alarmante, et ils ont raison. Mais la science est aussi très facile à ignorer. Les gens ne réfléchissent pas comme des juges neutres qui examinent les rapports du GIEC. La tendance naturelle est d’utiliser notre intuition, et non notre raison. On commence avec la conclusion qui instinctivement nous semble bonne, puis on cherche les arguments qui la justifient.

Le lien avec le blocage du pont ? Si les gens ont l’impression d’être attaqués, on les placera sur la défensive. La personne attaquée voudra se convaincre qu’elle a raison, et elle y arrivera. Le résultat : un ressac.

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Invoquer la science de façon abstraite et pessimiste fonctionne mal.

Pour les risques, il est plus efficace de parler du concret et du court terme. Par exemple, le coût financier de l’auto, le temps perdu dans les bouchons, l’air pollué, les récoltes perturbées des fermiers, ou encore les incendies de forêt et inondations devenus par endroits plus probables. Et on peut le faire en invoquant des valeurs conservatrices, comme celle de protéger nos traditions (le hockey extérieur) ou le travail agricole (la météo extrême a créé des pertes historiques pour nos producteurs en 2017).

Et pour les solutions, miser sur les petits gestes est risqué. À quoi bon prendre le bus ? vous demanderez-vous devant votre voisin qui voyage en VUS. Et que dire à une famille avec trois enfants qui n’est pas assez riche pour acheter une maison proche du métro sur l’île de Montréal, avec une prise électrique pour sa voiture verte ? S’en remettre à la motivation des individus provoque une logique de compétition. Cela peut créer un cercle vertueux, mais aussi inciter les gens à ne jamais se sacrifier plus que leur voisin.

Au lieu de demander aux gens de changer eux-mêmes, mieux vaut changer les choix qui s’offrent à eux. En rendant les gestes verts accessibles et attrayants, et en pénalisant la pollution.

Ce qui est aussi efficace, c’est d’en faire une question de moralité collective. La protection de nos enfants et petits-enfants est ce qui motive le plus à freiner les perturbations climatiques, selon un sondage publié en mars.

Et enfin, il faudrait diversifier les porte-parole. Aux États-Unis, l’environnement est devenu si associé à Al Gore que des républicains s’en méfient par instinct partisan. Les gens à droite jugent les militaires plus crédibles que les climatologues – ça adonne bien, les militaires mettent en garde contre la menace climatique. Chez nous, Extinction Rebellion n’aura pas l’écoute de beaucoup d’électeurs caquistes ou de conservateurs… Pour eux, mieux vaut relayer les messages du géant de la réassurance Munich Re ou de la banque d’investissement Goldman Sachs. Ces capitalistes « pragmatiques » chiffrent en milliards de dollars le coût de notre inaction.

Pour résumer : n’embêtez pas les gens, parlez en termes concrets, ne les culpabilisez pas, relayez la parole des alliés non naturels et ne créez pas de guerre culturelle. D’ailleurs, cette dernière mise en garde, on la fait aussi au gouvernement caquiste.

Peu après la marche historique pour le climat, les caquistes assuraient que le troisième lien était bon pour l’environnement. C’était à la limite de la provocation. Tous les chercheurs disent pourtant que le projet intensifierait l’étalement urbain et les émissions de gaz à effet de serre, sans réduire la congestion à long terme. La réponse de François Legault : ceux qui sont contre le troisième lien sont contre Chaudière-Appalaches. C’est une belle façon d’opposer les régions à l’écologie, comme si les deux étaient incompatibles. Hélas, ceux qui disent craindre la division travaillent parfois très fort pour l’entretenir…

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