Le joueur Daniel Carcillo a une demande toute simple pour la Ligue nationale de hockey (LNH) : «Dites la vérité. La putain de vérité.»

Il continuera d'attendre.

Les pertes de mémoire, la dépression, l'anxiété dont souffre l'ancien dur à cuire des Blackhawks? Les démences précoces et les cas d'encéphalopathie traumatique chronique qui ont eu raison d'autres joueurs comme Steve Montador, Derek Boogaard ou Bob Probert? Pas notre faute, dit la LNH.

Dans sa nouvelle entente à l'amiable avec 318 anciens joueurs, la Ligue ne reconnaît aucune responsabilité. Elle a réussi son double objectif : éviter les poursuites futures de ces joueurs et acheter la paix, au plus bas prix possible.

Selon cette entente, la LNH doit verser 19 millions de dollars américains aux plaignants. La somme est toutefois moins généreuse qu'il n'y paraît. Les avocats accaparent plus du tiers du magot. Il ne restera que 22 000 $ par joueur, avec un chèque additionnel pouvant aller jusqu'à 75 000 $ pour payer des traitements jugés nécessaires par un médecin. À cela s'ajoute un fonds spécial de 2,5 millions pour aider tous les joueurs, y compris ceux qui ne participaient pas au litige.

Faisons un calcul rapide. Cela revient à moins de 100 000 $ par cerveau. Ce n'est pas énorme. En échange, les joueurs doivent renoncer à leur droit de poursuivre à nouveau la Ligue.

Certes, dans une entente à l'amiable, il est habituel que le mis en cause ne reconnaisse pas de responsabilité juridique. Mais la Ligue vise encore plus bas. Elle ne reconnaît pas de responsabilité morale, et elle s'obstine encore à en faire le moins possible sur la glace.

Pour les joueurs actuels, rien n'est offert. Tant pis si certains deviennent déments avant d'avoir eu 50 ans. Ils pourront se consoler avec leurs glorieux souvenirs, s'ils se les rappellent...

Si les joueurs n'ont pas obtenu plus, c'est qu'ils avaient perdu leur pouvoir de négociation quand un tribunal américain a refusé leur action collective l'année dernière.

Mais s'ils doivent se contenter de peu, c'est aussi à cause de l'intransigeance du commissaire Gary Bettman. Celui qui avait le gros bout du bâton n'a jamais eu à craindre les coups de ses adversaires. Il regarde le spectacle des gradins, un oeil sur sa calculatrice. L'empathie ne pousse pas facilement à une telle altitude...

Sous M. Bettman, la LNH s'est comportée comme les cigarettiers des années 70. Le commissaire niait obstinément tout lien entre son produit et la maladie. Pas de lien causal, répétait-il.

En effet, les neurologues n'ont pas réussi à créer une expérience longitudinale avec un groupe qui s'assomme, et un autre groupe témoin qui joue aux poches... On n'a qu'une corrélation. Oui, les matamores du hockey tombent comme des mouches, avec des cerveaux de vieillards avant leur cinquantaine. Peut-être est-ce à cause des coups à la tête. Mais peut-être s'agit-il plutôt d'une surdose de chou-fleur. Le «mystère» scientifique demeure entier. Remarquez, cela n'empêche pas les joueurs de mourir...

Si la science n'est pas «claire», comme le prétend M. Bettman, alors la Ligue s'accommode très bien de ce manque de lumière. À chaque rapport sur les commotions cérébrales, elle s'est assurée de dévoiler le strict minimum d'information.

Selon des interviews menées par le Dr Robert Cantu, dans près du quart des combats, un joueur ressentirait les symptômes d'une commotion cérébrale. On imagine les ravages quand on sait que les goons se battent plusieurs fois par année, et que plus les commotions s'additionnent, plus les lésions cérébrales se multiplient.

Il est vrai que sous M. Bettman, la LNH a instauré le protocole pour les coups à la tête - si un joueur paraît ébranlé, il doit être évalué par un médecin, à l'écart du banc et de la glace. Mais s'il n'y a pas de danger, pourquoi agir ainsi?

Le scepticisme de M. Bettman est d'autant plus absurde qu'il n'y a pas de risque à protéger davantage les joueurs. Quand on exige une preuve irréfutable, c'est par précaution, pour éviter un geste aux conséquences fâcheuses. Mais c'est tout le contraire ici!

En attendant, la LNH continue de prospérer en marge du droit. Au travail, si vous assommez votre collègue, le Code criminel s'appliquera, même si vous jurez que cela a changé le momentum de la réunion. Dans la LNH, par contre, ce genre de défense fonctionne. On vous enverra réfléchir dans le coin quelques minutes, avant de vous féliciter à votre retour.

Bien sûr, sur le plan juridique, des questions difficiles se posent. Quel est le risque acceptable auquel un joueur professionnel peut s'attendre? Où s'arrête la responsabilité du joueur qui frappe, et où commence celle de la Ligue? Mais pour mieux protéger les joueurs actuels, on n'a pas besoin de régler ces questions. Rien n'empêche d'agir maintenant.

En fait, il y a un seul risque, et il est financier. C'est que le produit sur la glace soit moins vendeur. C'est le vice-président de la LNH, Colin Campbell, qui l'a le mieux résumé : «On vend l'agression», avouait-il dans un courriel rendu public lors du litige. Un discours encore relayé par certains commentateurs comme Don Cherry - hélas, les dinosaures disparaissent plus lentement quand nos impôts les financent...

On le comprend, le changement ne viendra pas de Gary Bettman. Il ne viendra pas non plus de l'entente à l'amiable. Il ne pourra venir que des vedettes actives comme Sidney Crosby.

Malheureusement, le capitaine des Penguins n'ose pas critiquer la Ligue. Lui-même victime de plus d'une commotion, il pourrait le regretter.

Daniel Carcillo, lui, est rendu là. Si cela lui redonnait son cerveau d'antan, effacerait-il son nom de la Coupe Stanley? Oui, répond-il sans hésiter. «Je ne peux plus vivre comme ça.»

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