Pour réformer le mode de scrutin, il n'est pas obligatoire de passer par un référendum. Mais cela permettrait tout de même de contourner l'écueil qui apparaît à l'horizon.

En mai dernier, les péquistes, caquistes, solidaires et verts se sont engagés à se débarrasser de notre mode de scrutin uninominal à un tour*. Ce système serait remplacé par la proportionnelle mixte compensatoire avec listes régionales.

Même si on parle depuis des décennies de changer de mode de scrutin, c'était la première fois que la majorité des partis signaient une déclaration commune. L'avancée est majeure. Toutefois, il leur manque un important allié : le Parti libéral, qui s'y oppose fermement.

Si les libéraux perdent les élections lundi, pourra-t-on changer le mode de scrutin sans leur appui ? Une simple majorité des élus suffirait-elle ?

La loi ne dit rien à ce sujet. Ce ne serait donc pas illégal. Mais ce ne serait pas pour autant légitime.

Bien sûr, la question est hypothétique - tout dépendra du nombre de libéraux qui seront élus.

Pour l'instant, à tout le moins, on peut affirmer ceci : une majorité simple ne devrait pas suffire pour changer le mode de scrutin.

C'est ce que l'histoire parlementaire nous enseigne.

Il n'y a jamais eu de vote sur le mode de scrutin, mais il y en a eu plusieurs sur la carte électorale. De coutume, on cherchait à obtenir l'unanimité ou la quasi-unanimité des élus. Car il ne s'agissait pas d'une modification anodine. On ne changeait pas une loi ; on changeait la façon de choisir ceux qui votent les lois. Cela revient à changer les règles du jeu. Le consensus des élus permettait de s'assurer que le parti au pouvoir n'arrange pas le système à son avantage.

En 2011, le président de l'Assemblée nationale a consacré cette pratique pour la carte électorale. Selon la « convention parlementaire », a-t-il statué, il y a une « nécessité politique » d'obtenir à ce sujet « un consensus le plus large possible ». La réforme du gouvernement Charest avait ainsi été bloquée. « C'est la meilleure décision d'un président que j'ai vue dans ma vie parlementaire », s'était réjoui Stéphane Bédard, leader parlementaire péquiste.

À quoi équivaut le « consensus le plus large possible » ? Le président ne l'avait pas chiffré, et c'est très bien. Il voulait laisser un peu de latitude aux élus. On doit donc conjecturer. Serait-ce les deux tiers des élus, comme on l'exige déjà pour certaines nominations d'officiers indépendants ? Ou devrait-on viser davantage, par exemple les quatre cinquièmes (100/125) ?

Ou devrait-on compter les partis au lieu des élus ? Si tous les partis sauf les libéraux sont d'accord, cela suffit-il ?

On comprend le dilemme.

D'un côté, il serait anormal d'exiger un consensus plus faible pour le mode de scrutin que pour la carte électorale.

De l'autre, il y a un problème à donner un droit de veto à un parti. Celui qui est avantagé par un mode de scrutin pourrait empêcher à jamais de le changer*.

Pour sortir de l'impasse, il y a une sortie de secours : laisser la population décider par référendum. C'est ce qu'ont fait les trois autres provinces (Colombie-Britannique, Ontario et Île-du-Prince-Édouard) ayant déjà proposé une réforme de leur mode de scrutin.

Il y aurait même des avantages. Lundi soir, on pourra difficilement prétendre que chaque vote pour les caquistes était un vote pour la réforme, et vice-versa. L'enjeu était trop secondaire dans la campagne pour qu'on tire de telles conclusions. Et tous ne connaissent pas les modalités de la proportionnelle proposée. Même si les experts en débattent depuis des décennies, les listes régionales, qui compenseraient la disparition de circonscriptions rurales, ne sont pas familières au grand public.

Avouons-le, ce sont souvent les adversaires de la proportionnelle qui proposent un référendum.

On ne prétend pas qu'il s'agisse de la seule option. Mais elle permettrait de contourner le débat sur le type de consensus nécessaire en Chambre.

Si les élus veulent malgré tout passer au vote à l'Assemblée nationale, il faudrait alors - soyons utopistes - que tous les partis permettent le vote libre. Car il ne s'agit pas d'une question partisane. Il s'agit de repenser le lien qui unit chaque député à ses électeurs. De repenser le coeur de notre démocratie représentative.

* Lisez l'entente signée par quatre partis  

** Notre mode de scrutin n'a pas toujours favorisé les libéraux - ils ont perdu en 1998, même s'ils avaient obtenu plus de votes.

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