Après des mois d'audience et de réflexion, la commission Chamberland accouche de deux recommandations phares prêtes à être adoptées par Québec : renforcer la protection des sources journalistiques, et renforcer l'indépendance de la police face aux élus.

Plusieurs personnes peuvent remercier aujourd'hui la Commission pour son travail. Les journalistes, à qui on offrirait une protection exemplaire de leur travail. Les politiciens, à qui on offrirait une protection contre eux-mêmes. Et enfin, le gouvernement Couillard, qui reçoit des solutions raisonnables susceptibles de faire consensus.

On pourrait chipoter sur des détails. Il est vrai que le juge Chamberland ne recommande pas de changer la loi sur les dénonciateurs et qu'il n'écorche pas trop la culture du secret des corps policiers ou la négligence des juges de paix. Mais cela ne relevait pas strictement de son mandat.

Et surtout, en évitant de distribuer les blâmes, la Commission réussit à ne pas s'aliéner les policiers ou les magistrats. Elle augmente ainsi ses chances de rallier des cultures opposées.

Ce travail prenait du doigté. Un « trio improbable » pilotait cette commission :  le président Jacques Chamberland (juge à la Cour d'appel), assisté par les commissaires Guylaine Bachand (avocate en droit des médias) et Alexandre Matte (ex-chef de police de la ville de Québec). Chacun amenait une sensibilité particulière. Mais au bout du compte, ils ont accouché de recommandations unanimes. Elles ciblent les institutions et non les individus. Elles s'intéressent au passé pour mieux améliorer l'avenir.

La première ferait du Québec un modèle en matière de protection des journalistes. En octobre dernier, grâce au leadership de sénateurs comme le conservateur Claude Carignan, le Canada a adopté une loi pour protéger les sources journalistiques. Elle renverse le fardeau de la preuve ; c'est désormais la Couronne qui doit prouver que la divulgation des sources d'un journaliste est justifiée.

Or, cette loi ne s'applique qu'au droit criminel, et elle ne porte que sur les sources. Le rapport Chamberland propose à Québec d'adapter une telle loi pour le droit civil, et de l'élargir au matériel journalistique.

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L'autre recommandation serait tout aussi utile. Le rapport propose de clarifier l'indépendance des policiers par rapport aux élus.

Cette frontière existe de façon implicite. Mais l'implicite n'est pas toujours bien compris, surtout quand l'ingérence devient tentante...

Il est normal que le maire de Montréal dicte des orientations stratégiques au chef de police de sa ville. Mais il n'est pas acceptable qu'un maire comme Denis Coderre s'intéresse aux opérations. Surtout pas aux opérations de routine qui le concernent, comme une rumeur concernant une contravention. 

De la même façon, il est normal qu'un ministre de la Sécurité publique donne des priorités au patron de la Sûreté du Québec, comme la lutte contre le crime organisé ou contre le terrorisme. Mais il n'est pas acceptable qu'un ministre comme Stéphane Bergeron parle personnellement au patron de la police des plaintes d'un chef syndical, et qu'une chasse aux sources s'ensuive.

Dans les dernières années, le Québec a connu une certaine fatigue des commissions d'enquête, longues et coûteuses. On en est venu à s'interroger sur leur pertinence. Avec son rapport minutieux, le juge Chamberland vient de démontrer à quoi elles peuvent servir. Si, bien sûr, le gouvernement Couillard y donne suite.

Ils auraient aimé une loi

Voici deux litiges où il aurait été utile d'avoir une loi provinciale sur le matériel et les sources journalistiques:

- Le publicitaire Polygone qui voulait forcer le journaliste Daniel Leblanc à dévoiler sa source ma Chouette liée au scandale des commandites. Puisqu'il s'agissait d'un litige civil (en Ontario), la nouvelle loi fédérale n'aurait rien changé.

- La Gendarmerie royale du Canada qui exige que Vice lui remette la conversation intégrale d'un journaliste avec un djihadiste. Cette cause, qui sera entendue par la Cour suprême, porte donc sur le matériel et non sur la source. La nouvelle loi fédérale, qui ne porte pas sur le matériel, ne s'y applique donc pas directement. Cette cause, qui relève du droit criminel, ne serait donc pas influencée par une loi provinciale. Mais elle démontre l'importance de protéger aussi le matériel journalistique.

>> Cliquez ici pour lire le rapport de la commission Chamberland

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