Il y a une leçon pour le gouvernement Trudeau dans l'affaire Morneau : avant de s'engager à changer les consciences, changez les lois. C'est moins vendeur, mais plus efficace.

À son élection, le premier ministre Justin Trudeau jurait main sur le coeur que son gouvernement ferait plus que respecter la loi. Qu'il s'imposerait les « plus rigoureuses » normes éthiques.

Mais c'est beaucoup demander à la nature humaine... Il est plus prudent de commencer par boucher les trous dans la loi. Sinon, les bonnes intentions risquent de s'y engouffrer.

C'était vrai pour les cocktails de financement du Parti libéral fédéral. C'était vrai aussi pour la promesse de transparence. Et c'est encore vrai pour la gestion des actifs de Bill Morneau.

Dans chacun de ces cas, le gouvernement Trudeau a procédé de la même façon : promettre les plus hauts critères éthiques puis s'en tenir à la loi, en profitant de ses largesses. C'est ce décalage qui dérange.

M. Trudeau s'engageait à ne pas offrir « d'apparence d'accès préférentiel » en échange d'argent, puis il s'est déplacé pour rencontrer un petit groupe de gens d'affaires qui donnaient 1500 $ à son parti. Quand les médias ont révélé cette pratique, il a refusé de dévoiler la liste des donateurs.

M. Trudeau promettait un gouvernement « ouvert et transparent », mais il n'a pas encore changé la vieille Loi sur l'accès à l'information qui sert de bouclier pour cacher des choses.

Et maintenant, c'est son ministre des Finances qui laisse entendre une chose puis en fait une autre.

Après son élection, l'ex-patron de la firme Morneau Shepell disait s'attendre « à ce que ses actifs soient placés dans une fiducie sans droit de regard ». C'est ce que la loi exige, et c'est ce que tous les ministres ont fait. Or, M. Morneau a profité d'une échappatoire : ses actifs sont contrôlés par une compagnie à numéro, incorporée en Alberta. Il possède donc ses actifs indirectement, par l'entremise d'une autre compagnie. Cela lui a permis de ne pas les confier à une fiducie sans droit de regard. Le ministre n'en a pas parlé trop fort...

Le ministre des Finances du Canada a donc contrôlé plus de 1 million d'actions dans une société de ressources humaines qui pouvait avoir des intérêts dans plusieurs dossiers sous sa responsabilité. Les lumières jaunes auraient dû clignoter.

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Les conservateurs, les libéraux et la commissaire à l'éthique ont chacun leurs torts.

En 2013, la commissaire à l'éthique Mary Dawson recommandait de colmater cette brèche dans la loi, qui était alors utilisée par au moins un ministre conservateur. Les gouvernements Harper et Trudeau n'ont rien fait. Il y a donc un peu d'hypocrisie à entendre les conservateurs accuser aujourd'hui M. Morneau.

La commissaire Dawson n'a pas brillé non plus. M. Morneau, néophyte en politique, s'en remettait à son jugement. Elle ne lui a pas conseillé ni déconseillé de placer ses actifs dans une fiducie sans droit de regard. Elle lui a simplement recommandé de suivre la loi. Bref, elle a plus agi en conseillère juridique qu'éthique. Son rôle est pourtant de prévenir les apparences de conflits d'intérêts et de désamorcer les crises.

À sa décharge, la commissaire a par contre suggéré à M. Morneau de créer un « écran ». Le ministre a ainsi été tenu à l'écart à deux reprises de décisions ayant un impact sur Morneau Shepell. Il ne dit toutefois pas lesquelles.

Des médias ont récemment révélé que M. Morneau a vendu un bloc d'environ 1 million d'actions de sa société à la fin 2015. Soit quelques jours seulement avant qu'il ne hausse l'impôt des plus riches. L'opposition calcule que le ministre aurait économisé environ 500 000 $.

Les libéraux répliquent que cette baisse d'impôt était connue - elle constituait le coeur de leur plateforme électorale. Mais il arrive parfois que les gouvernements dérogent à leurs promesses. Un petit suspense pouvait demeurer.

On peine à croire que le ministre aurait risqué sa crédibilité pour un gain si minime pour lui. En fait, s'il avait voulu gagner plus d'argent, il serait demeuré dans le monde des affaires. Ajoutons qu'après la transaction, il a donné plus de 4 millions de dollars à un organisme de bienfaisance.

Mais, sans parler de délit d'initié, le ministre a fait preuve à tout le moins d'imprudence.

Le problème, c'est que M. Morneau déballe la vérité par un interminable striptease. Aux questions de l'opposition, il répond par les insultes (« vous ne connaissez pas le marché boursier ! ») et les menaces de poursuite.

Les libéraux promettaient la transparence, mais pour l'instant, ils offrent l'insouciance. Cela pourrait les rattraper.

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