Le chiffre est spectaculaire : 40 milliards de dollars, échelonnés sur une décennie, pour la toute première Stratégie fédérale sur le logement. Mais quand on examine de plus près, on réalise que le plus difficile reste à faire pour aider les gens à faible revenu ou en situation d'itinérance. Car on ignore précisément quand et comment l'argent sera dépensé.

Bien sûr, cela n'enlève rien à l'annonce. Donnons au gouvernement Trudeau le mérite qui lui revient. Cela faisait plus de 20 ans qu'Ottawa s'était retiré des programmes de logement social. Les provinces devaient toujours renégocier des ententes ponctuelles. À cause de ce désengagement, depuis 1994, près de 80 000 logements sociaux ont échappé au Québec, selon les calculs du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

Le fédéral devient enfin un partenaire prévisible grâce à cette toute première stratégie nationale. Le Canada était d'ailleurs le seul pays du G8 à ne pas en avoir une.

Autre avancée, l'accès au logement sera reconnu comme un droit, comme le demandaient les intervenants communautaires et l'ONU.

Signe de l'importance que le gouvernement accorde au dossier, l'annonce a été faite en même temps par le premier ministre Justin Trudeau et le ministre responsable Jean-Yves Duclos à Toronto et à Vancouver.

Dans ces deux métropoles, la surchauffe immobilière crée des problèmes critiques de logement. À Montréal, la situation s'est améliorée depuis la pénurie du début des années 2000. Reste que certains peinent encore à trouver un toit. 

Le gouvernement Couillard ne les a pas aidés. De 2014 à 2016, il a réduit ses cibles de construction de logements sociaux, de 3000 à 1500. Et puisque le financement n'est plus indexé depuis 2009, il manque d'argent pour atteindre ces cibles.

Voilà pourquoi l'annonce d'hier suscite de l'espoir. Mais l'espoir ne paye pas son 4 ½...

Le plus difficile reste à venir.

Le logement social et la lutte contre l'itiné-rance sont complexes. Ils relèvent autant du fédéral que du provincial et du municipal. 

Ottawa annonce des chèques et rédige des objectifs assez généraux. Ce sont toutefois les provinces et municipalités qui prennent les décisions sur le terrain.

Il faudra suivre de près l'échéancier et le choix des interventions.

Pour l'échéancier, l'enveloppe annoncée sera dépensée majoritairement après la prochaine campagne électorale fédérale. Le prochain gouvernement y sera-t-il lié ? Et évitera-t-on les fréquents retards en construction de logements ?

Pour les interventions, il y a un risque de saupoudrage ou d'improvisation. Il manque encore de données pour vérifier si les programmes fonctionnent, comme l'a rappelé cette semaine Kevin Page, ex-directeur parlementaire du budget et coprésident de l'Alliance canadienne pour mettre fin à l'itinérance.

Par exemple, le supplément au revenu est-il le meilleur outil ? L'effet est immédiat - il permet à une personne à revenu modeste de payer son loyer. Mais à long terme, quel sera l'effet sur l'offre de logement ? Faudrait-il plutôt donner la priorité à l'ajout de logements ? Ou combiner les deux ?

Les mêmes questions se posent en itinérance, où des spécialistes repensent leurs interventions. À Montréal, le Mouvement pour mettre fin à l'itinérance veut réduire les lits en refuge, et investir davantage dans l'offre de logements et de soins psychosociaux. Mais même si des projets-pilotes ont montré des résultats encourageants, sera-ce le cas partout ?

Ce travail difficile, il ne fait que commencer.

Photo archives Bloomberg

L'enveloppe annoncée pour la stratégie nationale sur le logement sera dépensée majoritairement après la prochaine campagne électorale fédérale, rappelle notre éditorialiste. Le prochain gouvernement y sera-t-il lié ?

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