Depuis quelques jours, des sénateurs conservateurs essaient de modifier à la dernière minute la promesse libérale phare de baisse d'impôts. Si cette escouade de non-élus cherchait à démontrer son inutilité, elle n'agirait pas autrement.

Lors de la campagne électorale, Justin Trudeau s'est engagé à réduire les impôts de la « classe moyenne ». Pour la tranche de revenus entre 45 282 et 90 563 dollars, le taux d'imposition serait ainsi réduit, de 22 % à 20,5 %. En contrepartie, l'impôt serait augmenté pour les revenus qui dépassent 200 000 dollars - à partir de ce seuil, le taux passerait de 29 % à 33 %.

Peu après son élection, le gouvernement Trudeau a confirmé qu'il irait de l'avant. La mesure apparaît dans le budget présenté l'hiver dernier, ainsi que dans un projet de loi déposé plus tôt cette année.

Ce projet est maintenant rendu à l'étude au Sénat. On croyait que son adoption était acquise. Or, les sénateurs conservateurs ont décidé de le détourner pour marquer de petits points politiques. Ils tentent de modifier la loi pour que la baisse profite davantage aux revenus modestes, et qu'elle profite moins à la classe moyenne supérieure.

Ces sénateurs ont raison de rappeler que la baisse libérale profite surtout à la portion fortunée de la « classe moyenne ». Et ils ont raison de déplorer que cette baisse ne soit pas fiscalement neutre - l'État redonnera finalement plus d'argent à la classe moyenne qu'il en récupèrera des ménages à hauts revenus.

Malgré tout, l'offensive des conservateurs est indéfendable.

Elle pose un problème pour les finances publiques, car le dernier budget a été calculé en fonction de la baisse.

Elle pose aussi un problème pour les finances personnelles des contribuables, dont les budgets et paies ont pu être calculés en fonction de cette baisse.

Et enfin, elle pose un problème de légitimité démocratique. Car il y a un détail que les sénateurs conservateurs oublient : ce débat a déjà été fait, et les électeurs ont voté !

En tant que non-élus, ils n'ont pas la légitimité de renverser ce choix. Surtout pas avec des calculs présentés à la hâte, sans en évaluer les conséquences fiscales complexes, pour faire mal paraître un adversaire.

Certes, tout indique que la majorité libérale de la Chambre des communes battrait un tel amendement. Mais l'incident devrait servir de mise en garde pour le nouveau Sénat.

Il devra faire preuve de modestie pour jouer son rôle de défenseur des minorités et des régions, et aussi de lieu de réflexion posée. Cela justifie parfois de sonner l'alarme quand un projet de loi est troué ou vicié, comme des sénateurs l'ont fait avec raison pour le suicide assisté. Cela signifie aussi de proposer des lois sur des sujets qui échappent au radar médiatico-politique, comme ce fut le cas récemment avec le nécessaire contrôle des tests de dépistage génétique.

Le gouvernement Trudeau nomme désormais des sénateurs indépendants, qui n'appartiennent pas à un parti et votent selon leur conscience. Mais pour que cette réforme fonctionne, il faudra que les sénateurs déjà en place deviennent avant tout partisans de la sobriété et de la rigueur. Pour que la Chambre haute devienne le lieu des têtes froides, et non des gorges chaudes.

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