Ce que la population pense du Sénat se résume à un bâillement exaspéré. Elle s'y intéresse juste assez pour en proposer la mort ou à tout le moins une vaste réforme, avec quelques bons coups de pied.

Cela se reflète dans ce que proposaient l'année dernière les chefs conservateur et néo-démocrate.

Pour M. Harper, c'était la solution palliative. Cesser de nommer les sénateurs, puis tirer les rideaux et laisser l'institution mourir à l'ombre. Pour M. Mulcair, c'était l'euthanasie. Abolir le Sénat.

Cela exigerait toutefois de modifier la Constitution, et donc de s'entendre avec les provinces. Or, c'est impossible à l'heure actuelle. Résultat, la crise de confiance demeure. Le choix et le travail des sénateurs sont encore jugés trop partisans.

Que faire ? La meilleure solution est la plus beige : leur donner un peu plus d'indépendance, sans accroître leur pouvoir.

M. Trudeau a bien commencé le travail. En 2014, il expulsait les sénateurs libéraux de son caucus. Après son élection, il a poursuivi ce virage en créant un comité indépendant pour lui proposer des candidats, et en annonçant que ceux qu'il nommerait (22 cette année) siégeraient à titre d'indépendants. Cela a inspiré des sénateurs conservateurs comme Diane Bellemare, qui a claqué cette semaine la porte de leur caucus.

Cet élan sera toutefois difficile à arrêter, et il pourrait aller trop loin.

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Le Sénat a été créé pour représenter les provinces et freiner le populisme, grâce à une deuxième lecture dépassionnée des projets de loi. Mais dès les années 1870, l'institution était déjà contestée. Les propositions de réforme n'ont jamais cessé depuis. Le scandale des dépenses de Duffy, Wallin, Brazeau et Harb n'a fait que réactiver ce vieux débat.

M. Harper voulait faire élire les sénateurs. Or, cela risquerait de transformer le Sénat en deuxième Chambre des communes. Comme ils représenteraient la population, ces nouveaux élus n'hésiteraient pas à bloquer des lois. L'exemple extrême de ce danger se trouve à Washington.

En plus d'être inefficace, cette proposition est illogique. Il serait en effet paradoxal de renforcer une institution qu'on juge désuète. Et paradoxal aussi de vouloir y consacrer tant d'énergie en négociant avec les provinces. Un mandat de quatre ans ne permet qu'un nombre limité de chantiers. M. Trudeau en a déjà des majeurs avec les provinces, comme le financement de la santé, les changements climatiques et les infrastructures. Cela devrait constituer la priorité.

Comment alors régler la crise de confiance au Sénat ? En s'assurant de nommer les meilleurs candidats, avec l'aide des provinces. Et en rendant ensuite leur travail modeste et efficace. Cela exigera un équilibre entre l'indépendance et la partisanerie.

À court terme, on pourrait reconnaître les indépendants à titre de groupe, pour mettre leurs ressources en commun, siéger dans les comités et améliorer les lois.

Mais si tous les sénateurs nommés à l'avenir deviennent indépendants, il finira par ne plus en rester dans les partis. La deuxième chambre perdrait alors son lien avec le gouvernement. Or, un minimum de coordination est requis pour que les projets de loi importants, comme ceux qui résultent d'une promesse électorale, soient étudiés en priorité, dans le respect du mandat démocratique.

M. Trudeau devra faire attention de ne pas remplacer un problème par un autre.

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