En 2006, les libéraux multipliaient les campagnes de peur. Sous Stephen Harper, prévenait-on, des « soldats avec des fusils » afflueraient dans nos rues. Aujourd'hui, les dépenses militaires n'ont pas augmenté, le mariage gai existe encore et l'avortement continue de se pratiquer.

Stephen Harper a freiné les ardeurs de sa frange la plus socialement conservatrice pour mieux s'installer au pouvoir. L'idéologie ne devait pas nuire à la réélection.

Il y a toutefois un domaine où ces deux buts se sont complétés : la lutte contre le crime. Depuis 2009, environ le quart des projets de loi conservateurs ont porté sur ce sujet*. Ces lois obéissaient souvent au même abrutissant manichéisme : prendre le parti des victimes au lieu des criminels, et des familles-qui-travaillent-fort au lieu des terroristes.

Pourtant, les faits ne justifient pas cette obsession. Au contraire : le taux de criminalité diminue chaque année depuis 11 ans. Cette chute équivaut même au plus faible taux observé depuis 1969. Les crimes sont aussi moins violents. L'année dernière, l'Indice de gravité de la criminalité affichait le plus faible niveau depuis sa création en 1998.

Cette bonne nouvelle n'a pas été assez partagée. En 2010, Angus Reid rapportait que seul un Canadien sondé sur quatre savait que le crime reculait. Pas moins de 46 % d'entre eux croyaient même que c'était le contraire. 

On comprend l'avantage politique à miser sur cette crainte.

Même si le crime recule, une victime reste une victime de trop et il faut poursuivre le combat, pourraient répliquer les conservateurs. Mais pour défendre cette thèse, il faudrait démontrer que la répression conservatrice a dissuadé les criminels. Or, cet effet n'a pas été démontré. Le recul du crime avait déjà commencé dans les années 90, et il s'observe dans plusieurs autres pays développés.

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Il y a des conséquences à cette approche. Elles ont notamment été chiffrées en 2012 par le directeur parlementaire du budget. Il estimait à plus de 8 milliards le coût annuel de la loi C-10, qui devait notamment limiter la possibilité de purger sa peine hors de prison.

Cela sert à augmenter l'impression que notre société devient plus sûre, et que justice a été rendue.

C'est là que l'approche est idéologique. Il n'y a bien sûr rien de mal à défendre des idées. L'idéologie devient néfaste quand elle mène à promouvoir un principe, celui que les criminels doivent être punis, sans se soucier des conséquences.

Ces conséquences sont pourtant nombreuses. Il y a le gaspillage des ressources policières et judiciaires, les coûts carcéraux ainsi que le coût social, difficile à mesurer, liés à la prolongation du séjour de délinquants à l'école du crime.

Si cet héritage n'a pas beaucoup été débattu durant la campagne électorale, c'est en partie parce que la Cour suprême a déjà invalidé plusieurs lois conservatrices, comme celles sur les peines minimales. Mais avec le taux de crime qui chute, il serait temps de libérer les policiers de tâches peu essentielles, comme la traque aux petits fumeurs de marijuana. D'où le bien-fondé des propositions néo-démocrates et libérales, qui veulent décriminaliser ou légaliser la consommation personnelle de marijuana.

Les policiers avaient sûrement mieux à faire l'année dernière que d'arrêter près de 59 000 Canadiens pour possession ou consommation personnelle de pot.

* Depuis janvier 2009, 76 projets de loi sur 263 ont porté sur le crime, selon le décompte du criminologue Jean-Claude Bernheim.

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