J'aurais voulu être un artiste, scande le businessman dans la chanson de Luc Plamondon. Or, de nos jours, ce sont plutôt les artistes qui sont fatigués de jongler avec les chiffres et la business de leur métier. Alors que le gouvernement du Québec entame un vaste chantier de consultations, cet été, pour mettre à jour sa politique culturelle, il faut reconsidérer la participation de l'État à la culture et évaluer la place accordée aux arts dans l'imaginaire collectif.

D'ici l'automne, plusieurs théâtres (le Quat'Sous à Montréal, la Bordée et le Périscope à Québec) auront de nouvelles directions artistiques. À ces postes, on retrouve l'élite des créateurs du théâtre québécois. Des interprètes et des metteurs en scène choisis pour leur talent et leur curriculum artistique.

Or, ces derniers sont de plus en plus des gestionnaires qui passent une trop grande partie de leur temps à administrer leur « maison ». Ils doivent établir des stratégies de marketing ; organiser des soirées-bénéfices ; chercher de l'argent ; multiplier les rencontres avec des dirigeants d'entreprise. Quand les directeurs ne sont pas occupés à racler les fonds de tiroir pour l'entretien des immeubles. Les immobilisations acquises dans les années 70 et 80 se fragilisent avec le temps, tandis que les gouvernements se désengagent, dit-on.

En résumé, l'énergie des directions artistiques n'est pas mise à la bonne place.

« En 25 ans, mon travail a changé énormément », affirme Lorraine Pintal, directrice du Théâtre du Nouveau Monde (TNM). Sa grande frustration, c'est de constater que « le TNM est devenu un théâtre public financé par le privé ». Environ 75 % du budget de 7 millions de dollars proviennent des revenus autonomes, de la billetterie et de fonds privés ; le principal partenaire reste toutefois une société d'État : Hydro-Québec.

Cet air est chanté à la direction de toutes les compagnies de théâtre au Québec : le désengagement de l'État, doublé de l'augmentation de l'offre culturelle, rend leur travail éreintant. La passion demeure toujours là... Mais la fatigue du milieu théâtral est palpable.

À la fin des années 80, alors qu'il était à la barre du Théâtre français du CNA à Ottawa, André Brassard disait que ses pairs avaient vendu leur âme au diable, en introduisant la logique comptable au discours culturel. Selon le metteur en scène, on a tort de parler d'affaires ou de produits culturels. L'art n'est pas une question de chiffres, mais un petit supplément d'âme. Son importance dépasse les profits ou la rentabilité.

En Europe, les directeurs de théâtre ne parlent jamais d'argent en public. C'est tabou ! Au Québec, ils ne parlent que de ça. Pour survivre, un théâtre de prestige doit faire de l'argent avec des succès, du divertissement et des têtes d'affiche. On est loin de la recherche, du risque et de l'audace, des balises qui devraient servir de guides aux programmateurs. Sans audace, on n'aurait jamais créé les premières pièces de Bouchard, de Tremblay et, si on regarde outre-Atlantique, celles de Beckett.

En période d'austérité, l'État fait des coupes d'abord dans la culture.

Bien sûr, l'éducation et la santé sont plus importantes. Pourtant, le gouvernement doit trouver une façon de mieux soutenir la culture. Après tout, l'art permet au peuple de rêver d'un avenir meilleur, d'envisager tous les possibles, d'oublier la grisaille de la réalité.

Osons donc une politique culturelle qui donnera à ceux et celles qui dirigent nos théâtres, les moyens de leur vision artistique.

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