Soyons honnêtes. Justin Trudeau n'a pas vraiment « pris la décision d'expulser » Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott, comme il a dit mardi. Il a plutôt attendu que tout mène à l'expulsion des deux députées. Puis il a prononcé tardivement, finalement, le mot « expulsion » alors qu'il y en était presque forcé...

On a déjà vu preuve de leadership plus convaincante.

Deux mois après le début de l'affaire SNC-Lavalin, il apparaît clair que le premier ministre a attendu bien trop longtemps avant de se rendre à l'évidence : les deux élues récalcitrantes n'avaient tout simplement plus leur place dans un parti qu'elles tiraient chaque jour vers le bas. Volontairement.

Mmes Wilson-Raybould et Philpott n'étaient pas tant des « insoumises », comme les a qualifiées Le Devoir hier, que des infidèles. Elles ont manqué de fidélité, de loyauté envers un parti qu'elles continuaient pourtant de représenter.

Elles jouaient sur les deux tableaux, attaquant la probité du chef d'une formation... dont elles se disaient solidaires. Critiquant l'intégrité d'un gouvernement... dont elles disaient souhaiter la réélection. Une situation intenable, pour ne pas dire incohérente.

Que les deux femmes aient voulu alerter les Canadiens de « pressions indues », passe encore. On peut comprendre la motivation. Mais au fil des semaines, il apparaissait de plus en plus évident que les deux anciennes ministres étaient davantage en mode vengeance que transparence, exigeant la tête de tous les proches de Trudeau.  

L'enregistrement du greffier du Conseil privé à son insu par Mme Wilson-Raybould en était bien sûr la preuve ultime. Pourquoi une telle mise en scène dès décembre dernier, sinon pour piéger ?

Mais avant même que ce guet-apens ait été dévoilé, les exemples pointant vers une stratégie malveillante de la part des deux femmes étaient nombreux. Pensons au tout premier témoignage de Mme Wilson-Raybould lorsqu'elle a tracé un parallèle avec l'époque Nixon. En parlant du fameux « massacre du samedi soir », elle évoquait un épisode du pire scandale politique américain, le Watergate !

Pensons à l'entrevue qu'a accordée Mme Philpott au lendemain du budget fédéral. Non seulement a-t-elle invité le Maclean's a son bureau parlementaire pour se plaindre d'être muselée, mais elle a aussi choisi d'inviter personnellement le chroniqueur qui venait de qualifier son patron d'« imposteur » en une du magazine !

Or, cet évident manque de loyauté avait beau s'étaler sur la place publique chaque jour, les deux élues avaient beau être incapables de réitérer leur confiance envers leur chef, ce dernier continuait de tendre l'autre joue. Il le faisait même en souriant, en répétant qu'il était « très content » que les deux femmes veuillent représenter son parti aux prochaines élections !

Est-ce que Trudeau a fait preuve d'un leadership moderne en se montrant patient et compréhensif plutôt que ferme et intransigeant ? Pas du tout.

L'époque a changé, c'est vrai. Les chefs ne sont plus les bienvenus de crier et de mettre le poing sur la table à la moindre contrariété.

Mais même les leaders les plus modernes doivent établir des limites à ne pas dépasser ! Ce n'est pas une question d'ultrapartisanerie, mais bien de respect.

Et comment distingue-t-on un chef ? Par le respect qu'il sait imposer, justement.

Il y a en ce sens une certaine naïveté à croire que patienter, c'est gouverner. Qu'on peut toujours « rassembler ». Qu'il suffit de tendre la main et de s'embrasser. Qu'on peut éviter tout risque politique en se montrant gentil et conciliant.

D'ailleurs, le premier ministre l'a prouvé lui-même dans le passé. Quand on pense aux épisodes où Justin Trudeau a fait preuve de leadership, on pense à quoi ? Aux moments où il a pris des risques. En promettant des déficits. En montrant la porte aux sénateurs libéraux. En fonçant avec la légalisation du cannabis. En imposant la taxe carbone.

Et le problème avec les cas Wilson-Raybould et Philpott, c'est que le premier ministre a tout fait, non pas pour régler l'épineuse situation, mais pour minimiser le plus possible les risques électoraux pour son gouvernement.

C'est ainsi que mardi soir, devant son caucus, il avait beau parler fort et s'exprimer avec vigueur, il avait l'air d'un leader affaibli. Qui laisse les circonstances dicter ses décisions plutôt que l'inverse.

Certains affirment que Trudeau a bien fait de ne pas expulser les deux anciennes ministres avant, car les conséquences auraient été grandes. C'est vrai. Mais alors que cette affaire dure depuis bientôt deux mois, on peut se demander si les conséquences de l'attentisme ne sont pas plus grandes encore.

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