L'ex-chef du Parti québécois Pierre Karl Péladeau a choisi de contester sa culpabilité à une infraction à la Loi électorale pour don illégal à sa propre campagne.

Disons-le: il a raison.

À la source du litige, on retrouve une loi pertinente, mais trop rigide. Elle vise à empêcher les riches de puiser dans leur compte en banque pour gagner un avantage indu sur leurs adversaires.

Mais est-ce réellement ce qu'a fait le président de Québecor lors de la course à la direction du Parti québécois en 2015?

Sur papier, certainement. Mais dans les faits, pas vraiment.

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Reportons-nous à l'époque. L'homme d'affaires avait alors dépensé sans trop compter. Plutôt que d'attendre que les dons affluent, il avait contracté un prêt à la Caisse populaire, ce qui lui avait permis de débourser plus de 350 000 $.

Rien de répréhensible, puisque les règles du parti ont été respectées, mais la somme était imposante. Il suffit, pour s'en convaincre, de la comparer à la facture de son adversaire le plus dépensier, Bernard Drainville : 76 000 $...

Or, forcé de quitter précipitamment la politique en mai 2016, M. Péladeau est resté pris avec une dette de plus de 135 000 $. Une dette de campagne donc, qui devait être complètement remboursée trois ans après la course, et ce, à coup de dons individuels de 500 $ maximum.

Pas évident. Si bien qu'au terme de l'échéance, n'ayant réussi à récolter qu'une poignée de contributions, M. Péladeau a choisi de sortir son chéquier personnel pour éponger la somme due. Même si c'est illégal.

Certes, on peut reprocher à l'ancien politicien de ne pas s'être beaucoup forcé pour collecter des fonds, d'autres ayant été capables de le faire. Mais est-ce qu'on peut sérieusement l'accuser d'avoir manoeuvré pour se soustraire à la loi lors de la course à la direction?

Peut-on réellement croire qu'il a eu l'intention de contourner les règles à l'époque dans le but de profiter d'un avantage indu? Bien sûr que non.

Il lui aurait fallu être un devin pour prévoir qu'il quitterait précipitamment la politique 12 mois plus tard et qu'il se retrouverait avec une dette difficile à rembourser.

M. Péladeau est peut-être coupable d'avoir contrevenu à la lettre de la loi, la preuve étant qu'il a d'abord déposé un aveu de culpabilité en cour avant de demander le droit de changer sa réponse à l'accusation. Mais en se référant à l'esprit de la loi et à l'intention du législateur, bien difficile de parler d'une réelle culpabilité morale.

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Disons, pour être poli, que PKP n'a pas l'habitude de se montrer généreux envers ses adversaires, qu'il a pris l'habitude de salir régulièrement sur Twitter. Il nous est permis de douter qu'il le serait si l'un d'eux se retrouvait dans pareille situation.

Mais voilà justement un dossier qu'il importe de dépersonnaliser. Car dans le fond, M. Péladeau est simplement victime d'un effet pervers de la Loi électorale. Une loi, comme le note son avocat dans un avis déposé en cour*, qui est écrite de telle sorte qu'on ne peut pas présenter de défense.

En effet, les dettes de campagne doivent être épongées à coup de dons individuels 36 mois après une course à la direction. À défaut d'un remboursement complet selon les règles, c'est une fraude électorale. Point.

C'est ainsi qu'un chef qui tomberait gravement malade quelques mois après avoir remporté une course et qui serait incapable d'organiser une collecte de fonds serait traîné devant les tribunaux.

De la même manière que M. Péladeau, qui a démissionné «subitement et contre son gré» de son poste, «pour des raisons personnelles et familiales» selon les mots de son avocat, a été accusé malgré le contexte.

La loi ne prévoit aucune soupape, aucune circonstance exceptionnelle. Elle ne permet pas de tenir compte de l'aspect intentionnel ou malveillant de la personne visée. Elle ne fait aucune distinction entre celui qui enfreint volontairement les règles et celui qui ne parvient pas à les respecter.

Bref, elle est beaucoup trop rigide, comme le montre le cas de PKP. D'autant que ce dernier, parce qu'il détient au moins 50% des droits de vote rattachés aux actions d'une entreprise, est passible d'une lourde sanction.

D'abord une amende élevée sur le plan personnel : 20 000 $. Et ensuite une punition potentielle pour son entreprise : la perte pour Québecor du droit de faire des affaires avec l'État pendant cinq ans.

Une faute, donc, mais deux peines.

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Clairement, la Loi électorale n'a pas été mise en oeuvre en ayant en tête des cas similaires à celui de M. Péladeau.

Ce dernier a-t-il quelque chose à se reprocher? Oui. Il a déboursé en 2015 plus que tous ses adversaires réunis. Il a été incapable d'équilibrer ses dépenses et ses contributions. Il a géré sa dette de campagne avec insouciance. Il n'a pas fait d'effort pour collecter des fonds après avoir quitté la politique. Il a prétendu «ignorer» la loi alors qu'il a lui-même été législateur. Et il a manqué de jugement (et de conseils juridiques) en plaidant d'abord coupable pour ensuite rétropédaler.

Mais rien de tout ça ne mérite d'accuser quelqu'un de manoeuvre électorale frauduleuse, encore moins de pénaliser une entreprise en invoquant des dispositions visant à lutter contre la corruption.

La question se pose donc : était-il vraiment nécessaire que le Directeur général des élections dépose une accusation? Avant d'exercer son droit de poursuite, a-t-il soupesé l'intérêt public?

PKP a certes une grande responsabilité dans le pétrin dans lequel il s'est plongé, lui et son entreprise. Mais cela ne fait pas de lui un fraudeur pour autant.

* Nos demandes d'entretien à Québecor, Pierre Karl Péladeau et son avocat sont restées sans réponses.

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