L'écologiste de renom Bill McKibben va trop loin quand il affirme, dans le quotidien The Guardian, que Justin Trudeau est un « désastre pour la planète », au même titre que son « frère » Donald Trump...

Mais quand il souligne l'« hypocrisie » du gouvernement Trudeau sur les questions climatiques, par contre, il est plus difficile de se porter à la défense du premier ministre. 

Le Canada, il est vrai, s'est présenté en élève modèle à la conférence de l'ONU sur le climat qui se termine à Bonn. En « leader », même. Il a donné le coup d'envoi à une alliance mondiale visant l'élimination du charbon. Il a fait valoir sa promesse de taxer le carbone. Et il a surtout mis de l'avant son plan climatique comme preuve de sa bonne foi. 

Mais soyons honnêtes, ce qui était un engagement prometteur il y a 12 mois commence sérieusement à ressembler à un voeu pieux maintenant la barre du mi-mandat franchie. 

Imaginez : alors que M. Trudeau s'est dépêché à donner le feu vert à différents pipelines, le plan dont il parle sur toutes les tribunes, eh bien, il ne l'a pas encore mis en oeuvre ! Ce qui l'éloigne chaque jour un peu plus de la cible de réduction des gaz à effet de serre à l'horizon 2030. 

Une cible, rappelons-le, fixée par le gouvernement de Stephen Harper. Une cible, surtout, que les libéraux qualifiaient de timide quand ils étaient dans l'opposition, alors qu'ils mettaient beaucoup de pression sur les conservateurs pour qu'ils agissent au plus vite. 

En ce sens, Justin Trudeau « dit toutes les bonnes choses », comme le reconnaît Bill McKibben. Mais il n'a encore rien fait pour montrer qu'il y croit davantage que ses prédécesseurs... 

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La lutte contre les changements climatiques ressemble ainsi à une éternelle fuite en avant au Canada. 

Quand on regarde ce qui s'est fait - et pas fait - depuis la conférence de Rio il y a 25 ans, on réalise en effet que les gouvernements successifs ont toujours repoussé les cibles et les échéances... sans jamais les atteindre ! 

À Rio en 1992, on avait promis de maintenir à leur niveau les émissions de gaz à effet de serre pour l'an 2000. Elles ont plutôt explosé. 

À Kyoto en 1997, on avait juré qu'on allait les réduire en 10 ans. Elles ont continué de croître (sauf pendant la crise économique de 2008). 

À Copenhague en 2009, on s'était engagé à nouveau à diminuer les émissions, cette fois avant 2020. Elles ont poursuivi leur trajectoire à la hausse. 

Si bien qu'entre 1992 et 2015, les émissions du Canada sont passées de 621 à 722 mégatonnes ! 

Trois conférences, donc, trois objectifs... mais pas une seule tonne de réduction. 

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Cela nous mène à l'accord de Paris, signé il y a deux ans à peine, où le Canada a mis le cap sur 2030. 

C'est pour atteindre cette nouvelle cible, maintenant fixée à 523 Mt, que le gouvernement Trudeau a adopté en grande pompe son « cadre pancanadien » en décembre dernier. Un cadre qui mise sur la tarification de la pollution par le carbone. 

Or le plan en question est bien beau, mais il tarde à voir le jour, a conclu que la Commissaire au développement durable, Julie Gelfand, dans son dernier rapport, dévoilé cet automne. Elle a constaté que « les mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre présentées dans ce plan n'avaient pas encore été mises en oeuvre ». 

On peut certes se réjouir du fonds de 25 milliards qu'Ottawa a commencé à distribuer pour des projets de transports en commun. On peut aussi se réjouir de l'existence même d'un plan puisqu'il est nécessaire pour bien agir. 

Mais ce serait se satisfaire de peu... Car même si, par magie, toutes les mesures étaient implantées demain matin, elles ne permettraient même pas d'atteindre la cible que le Canada vient tout juste de se fixer ! 

C'est la conclusion à laquelle est arrivée la commissaire après avoir analysé chaque ligne du plan. Une conclusion dure, qui l'oblige à se rendre à l'évidence : « au cours des 25 dernières années, le Canada a annoncé quatre engagements fédéraux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Chaque nouvel engagement a eu pour effet de repousser l'atteinte de la cible dans un avenir encore plus lointain. » 

Et comme pour lui donner raison, le gouvernement Trudeau a annoncé cette semaine qu'il travaille à l'élaboration d'une nouvelle cible qui, bien sûr, sera plus ambitieuse encore... 

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Que faire devant cet accablant constat ? 

Aller de l'avant avec la taxe carbone à la grandeur du pays, dès l'an prochain. Mais aussi, mettre en vigueur l'ensemble des mesures du plan canadien, qui pour l'instant n'a que le mérite d'avoir été adopté. 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est en effet la première fois que le gouvernement adopte une cadre qui lui permet, à tout le moins, d'espérer réduire les émissions de gaz à effet de serre. 

Jean Chrétien a bel et bien mis de l'avant des mesures climatiques à l'époque, mais il n'avait pas de vision. Paul Martin a mis de l'avant le plan Dion, mais il a été renversé avant de l'adopter. Et Stephen Harper a élaboré une sorte de cadre, mais il l'a aussitôt fait disparaître dans les limbes du parlement. 

Le plan, comme tel, est donc une bonne nouvelle. Bravo ! Mais son existence ne peut à elle seule renverser la vapeur. Il faut donc l'appliquer, systématiquement, à commencer par l'une des mesures phares du cadre pancanadien, qui aurait pour effet de montrer la réelle volonté du gouvernement : « donner l'exemple ». 

Le fédéral doit prouver qu'il est capable de faire plus que des orientations et des cibles. Il doit assurer un « leadership gouvernemental » comme il le promet, il doit se fixer des objectifs ambitieux, il doit s'assurer que les activités gouvernementales soient exemplaires. 

Ottawa pourrait s'imposer, lui-même, une cible en énergie propre : tous les bâtiments fédéraux doivent être alimentés par des sources d'énergies renouvelables en 2025, par exemple. 

Même chose pour le transport : l'ensemble de la flotte de véhicules utilisés par le gouvernement doit être propulsée par des biocarburants ou de l'électricité d'ici 2022, disons. 

Voilà une utilisation judicieuse des milliards que le fédéral est prêt à investir dans les infrastructures vertes et les technologies propres. Voilà une façon de donner l'exemple en tant qu'utilisateurs précoces des produits innovants. Et voilà aussi une façon de stimuler l'industrie, d'appuyer la transition vers des combustibles moins polluants et de baisser les prix des énergies renouvelables. 

Voilà, surtout, une façon de montrer qu'au-delà des discours, des plans et des cibles, le gouvernement est prêt à faire partie de la solution plutôt que du problème.

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