Si vous voulez avoir une idée de l'importance des sources anonymes pour les journalistes, vous n'avez qu'à noter l'acharnement avec lequel les élus et les policiers les traquent.

Du maire de Montréal au président Trump en passant par le SPVM, la SQ et la GRC, tous veulent savoir qui a divulgué l'information qui les fait mal paraître.

Tous veulent trouver l'origine des fuites qui les embarrassent... et fermer les écoutilles pour qu'il n'y en ait plus.

D'où l'importance de protéger l'anonymat des lanceurs d'alerte et des sources qui osent contacter des journalistes pour dénoncer des irrégularités, de véritables héros de l'ombre sans qui les plus graves scandales de l'histoire du pays n'auraient jamais été dévoilés.

C'est précisément ce que vise le projet de loi privé S-231, déposé par le sénateur Claude Carignan, qui traverse cette semaine sa phase la plus cruciale. Un projet de loi qui recueille l'appui de la Chambre des communes, mais qui a besoin d'un tout petit effort de plus du gouvernement Trudeau pour être adopté avant l'ajournement des travaux parlementaires.

Soyons honnêtes, c'est la seule façon de lui éviter d'être relégué au bas du feuilleton l'automne prochain... aussi bien dire aux calendes grecques. Il suffirait en effet d'un remaniement ministériel, d'une soudaine priorité ou simplement d'une baisse de l'attention politique pour qu'on n'entende plus jamais parler de S-231.

Il faut savoir qu'il est déjà exceptionnel qu'un tel document chemine aussi loin dans les arcanes parlementaires. Les projets de loi déposés par des sénateurs se rendent rarement à l'adoption à la Chambre des communes. Et c'est encore plus vrai pour un projet de loi privé... venant d'un sénateur du parti de l'opposition!

Mais cette fois - cette semaine pour être plus précis - , les astres semblent alignés.

Tous les sénateurs ont donné leur appui au document. Tous les partis de l'opposition en ont fait autant. Le gouvernement a donné son accord de principe. Et la commission Chamberland poursuit publiquement ses travaux pour garder l'attention sur cet important enjeu.

Ne manque donc qu'un appui officiel rapide pour que le projet de loi devienne loi... et protège du coup les lanceurs d'alerte et les sources qui osent courageusement révéler l'existence des abus, des fraudes, des irrégularités.

Le projet de loi Carignan vise ainsi à protéger le droit à l'anonymat de ces dénonciateurs, sans lequel ils font face à des sanctions, de l'intimidation et des représailles. Il vise aussi un plus grand respect de la vie privée des journalistes. Et il vise à rendre plus difficile l'obtention de mandats de perquisition pour espionner les membres de la presse, comme Patrick Lagacé, Alain Gravel, Marie-Maude Denis, Éric Thibault et plusieurs autres ont été épiés.

Bref, le projet de loi vise à protéger... votre droit sacré à l'information à vous. Votre droit de savoir ce qui se déroule dans les officines du pouvoir. Votre droit de suivre à la trace ce que le gouvernement fait de vos impôts. Votre droit, finalement, de voir l'administration publique rendre des comptes.

Or chaque jour qui passe, une source se met en danger en contactant un journaliste, ou pire, un lanceur d'alerte décide de garder pour lui l'information incriminante qu'il possède, de crainte d'être démasqué.

Chaque jour qui passe, c'est un scandale des commandites qui peut rester tapi, c'est la corruption dans la construction qui peut demeurer secrète, ce sont les commissions payées par Airbus qui peuvent rester cachées.

L'adoption finale du projet de loi S-231 est donc l'occasion ou jamais - peut-être - , de faire passer le Canada du statut de cancre à premier de classe. Car pour l'heure, le Canada est en effet dernier de classe, étant l'un des rares pays où le privilège du secret des sources n'est pas expressément reconnu par la loi, une situation honteuse pour une démocratie qui n'hésite pas à se présenter comme modèle.

Certes, la mouture révisée du projet de loi n'est peut-être pas parfaite, mais elle a atteint le meilleur équilibre possible entre la protection des sources journalistiques et la liberté accordée aux forces de l'ordre grâce aux efforts des avocats, des fonctionnaires, des élus et des sénateurs qui travaillent d'arrache-pied pour corriger cette grave lacune législative.

Le droit du public à l'information s'appuie sur la liberté de la presse. Et la liberté de la presse se fonde sur un recours libre et confidentiel aux sources. Il est temps qu'elles soient protégées.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion