En suivant l'actualité, surtout en France et aux États-Unis, on peut se demander si la fiction est aujourd'hui dépassée par la réalité. Et si, en contrepartie, la réalité peut encore être prise au sérieux.

Peu importe l'heure où l'on syntonise CNN, on tombe sur l'ultime téléréalité : Trump met la Maison-Blanche à l'envers, Trump profite du soleil de la Floride, Trump tweete à 2h du matin...

En France, même chose : des intrigues shakespeariennes, des trahisons et des scandales en série ont transformé la présidentielle en véritable thriller politique. Un thriller si invraisemblable qu'il serait rejeté par toutes les chaînes de télé. « On nous dirait que c'est divertissant, mais trop tiré par les cheveux », fait remarquer le coscénariste de l'excellente série danoise Borgen, Jeppe Gram.

La réalité est-elle devenue plus divertissante que la fiction ? Le rocambolesque est-il le « nouveau normal » ? La banalisation des dérapages et des coups de gueule nous guette-t-elle ? Va-t-on finir par trouver anodin ce que l'on trouvait inacceptable il y a quelques mois encore ?

La réalité et la fiction se côtoient de tout temps, bien sûr. La télévision, les films, les romans ont toujours puisé leurs idées dans le réel, et parfois même, la réalité s'est inspirée d'oeuvres fictives.

Mais une chose semble avoir changé ces dernières années, une chose en fait semble disparaître : la frontière entre le réel et le fictif.

Comme si la politique avait décidé de suivre Alice et de traverser le miroir...

Vous lisez un compte rendu des soirées de Donald Trump à la Maison-Blanche, en robe de chambre, seul, à se tourner les pouces en regardant Fox News, et vous vous dites que c'est trop fou pour être vrai. Même chose pour le récit de ce gâteau au chocolat dont il garde un souvenir plus marquant... que le nom du pays qu'il a bombardé quelques jours plus tôt.

De la même manière, vous vous intéressez aux déboires de François Fillon, aux mandats accordés à ses enfants avant qu'ils deviennent avocats, aux dizaines de milliers de dollars reçus par sa femme pour deux minuscules articles dans une revue, à ses complets hors de prix acceptés au plus fort des scandales, et vous vous dites qu'il y a trop de crises pour que cela soit réel.

Et parallèlement, vous visionnez un vieil épisode de The West Wing ou de Borgen, vous regardez Homeland, Scandal ou District 31, et vous être frappé à quel point tout cela ressemble à la réalité... mais en plus réel encore !

Doit-on se surprendre que le niveau de confiance de la population soit en berne ? N'est-il pas normal que le respect pour le politique soit en baisse quand il est si difficile de distinguer le vrai du faux ? N'est-il pas naturel que les politiciens les plus populaires soient les plus populistes, les plus spectaculaires, les plus simplistes... les plus près, en fait, de ce qu'on retrouve à la télé ?

C'est d'ailleurs la conclusion d'une étude récente menée par la Queen Mary University de Londres, qui s'est penchée sur « l'héritage politique de la télévision » à l'époque de Silvio Berlusconi.

La conclusion : plus un électeur regarde de télévision, plus il y a de chance qu'il appuie un candidat populiste.

Et plus un politicien est populiste, peut-on ajouter, plus les électeurs risquent de regarder la télévision, comme le prouvent l'explosion des cotes d'écoute de Fox et de CNN depuis l'entrée en scène de Trump.

Rien de surprenant, donc, à ce que le président Trump soit aussi producteur de télé. Rien d'étonnant à ce que les démocrates aient récemment approché l'ancienne comédienne de Seinfeld Julia Louis-Dreyfus pour la convaincre de se lancer en politique. Si elle est aussi bonne dans son rôle de vice-présidente dans la série Veep, elle est forcément qualifiée pour « jouer » la politicienne dans la vraie vie...

La télévision et la réalité ont toujours été des vases communicants, évidemment, mais l'actualité montre que l'interconnexion entre les deux s'accentue, au point où il est de plus en plus difficile de distinguer le vrai et le show.

PHOTO FOURNIE PAR HBO

Julia Louis-Dreyfus dans la série Veep, dans laquelle elle incarne la vice-présidente des États-Unis.

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