La décision de certains commerçants d'interdire le port du carré rouge à leurs employés a fait bondir plusieurs syndiqués en plus d'enflammer les réseaux sociaux. Renaud-Bray, la SAQ, le Théâtre d'Aujourd'hui et la Grande Bibliothèque ont été montrés du doigt en raison de cette «atteinte à la liberté d'expression».

La crise étudiante, on le sait, a polarisé la société, elle a transformé l'espace public en un lieu d'échanges et de manifestations, elle a obligé les citoyens à choisir leur camp. Ce qui est normal et sain.

Mais ce faisant, elle a aussi exacerbé les émotions au point d'ouvrir la porte à toutes les exagérations. Après l'«État policier», le «SSPVM» et la législation digne de Poutine, voilà en effet qu'une politique d'entreprise tout à fait banale est vilipendée parce qu'elle participe à «la censure» et à la «répression» ambiantes...

Le délégué syndical d'un Renaud-Bray a ainsi publié un billet dans lequel il accuse son employeur de faire subir à ses collègues un traitement «excessif» et «radical».

Le président régional du Syndicat de la fonction publique et parapublique (SFPQ), Jean-François Sylvestre, est allé plus loin au nom «des fiers employés de la BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) portant le carré rouge». «Notre voix est désormais réprimée de toute part: 35 heures par semaine sur notre lieu de travail, dans nos rues par la police, dans les médias de masse qui l'ostracisent, dans les médias sociaux avec la loi 78. Nous sommes au bord de l'asphyxie! Il ne s'agit plus de neutralité, mais d'effacement complet de notre identité!»

Un peu de retenue... Il est question d'un code de conduite qui existe depuis des années dans la plupart des antennes gouvernementales et des commerces au détail. Un code qui ne sert pas à «réprimer» les opinions, mais à réduire les sources de friction avec la clientèle et à imposer un devoir de réserve aux représentants de la fonction publique.

Et les signes religieux, le voile, le turban? Il s'agit d'un tout autre enjeu. Ces derniers font partie d'une prescription religieuse, alors que le carré rouge représente une opinion politique ouverte à débat.

On peut bien essayer de donner au carré rouge un sens apolitique, d'en faire le symbole de la «solidarité» intergénérationnelle (signification que pourrait aussi évoquer les verts), il n'en reste pas moins qu'il s'est imposé comme l'emblème d'une lutte politique contre une décision politique.

Et il suffit, ainsi, de le remplacer par tout autre signe politique ou idéologique - une épinglette du PLQ, un macaron pro-vie, un signe en faveur de la peine de mort - pour constater son incongruité dans un lieu où la neutralité est de rigueur.

D'ailleurs, si l'interdiction avait touché le carré vert, les défenseurs de la liberté d'expression auraient-ils été aussi prompts à réagir? Le Théâtre d'Aujourd'hui aurait-il subi la colère des artistes?

On peut s'élever contre l'amalgame fait entre la violence et le carré rouge, mais crier à la répression parce qu'on empêche le port de ce dernier sur les lieux de travail relève carrément de l'enflure verbale.

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