Crise des opioïdes ? Le terme n’a rien d’exagéré. À cause d’elle, l’espérance de vie est au point mort, une première en 40 ans, a souligné récemment Statistique Canada. En quoi les médicaments d’ordonnance sont-ils responsables de cette crise ? La question fait l’objet de milliers de poursuites en Amérique du Nord, mais la réponse est loin d’être évidente.

Les surdoses accidentelles d’opioïdes font des ravages chez les hommes comme chez les femmes, a confirmé Statistique Canada le mois dernier.

Elles ont réduit l’espérance de vie à la naissance des premiers d’une quarantaine de jours (0,11 an), et de sept jours (0,02 an) pour les secondes. Ça peut sembler peu, mais c’est assez pour effacer les gains réalisés dans le traitement du cancer et des maladies de l’appareil circulatoire. L’espérance de vie au Canada ne s’est donc pas améliorée en 2017 — du jamais vu en au moins quatre décennies.

La Colombie-Britannique, province le plus touchée par la crise des opioïdes, a même vu son espérance de vie reculer pour une deuxième année de suite.

Il n’est donc pas étonnant que son procureur général ait été le premier au pays à lancer une poursuite contre les fabricants et distributeurs d’opioïdes, l’été dernier. Et l’Ontario vient d’annoncer son intention de se joindre au recours. Le Québec, par contre, est encore en train d’analyser la situation, nous dit-on au bureau de la ministre de la Justice, Sonia LeBel.

La Colombie-Britannique et l’Ontario sont donc les seules au Canada pour l’instant. Leur démarche n’a cependant rien d’inusité. Aux États-Unis, des États et des administrations locales ont déposé près de 2000 poursuites contre des sociétés pharmaceutiques ayant commercialisé des opioïdes. Difficile, toutefois, d’en prédire l’issue, car le premier procès s’est ouvert seulement à la fin mai, après que quelques causes se soient réglées à l’amiable.

Les positions sont simples. L’Oklahoma reproche à Johnson & Johnson et à sa filiale Janssen d’avoir alimenté la crise. La pharmaceutique rétorque que ses médicaments étaient dûment prescrits pour réduire les douleurs des patients.

Il faut dire que l’entente conclue en 2007 avec la société Purdue et trois de ses hauts dirigeants en a fait saliver plusieurs. Le fabricant a en effet accepté de verser plus de 634 millions de dollars américains d’amendes en lien avec son marketing de l’OxyContin, qui en minimisait les risques.

Les États, provinces et administrations locales se sont donc mis à poursuivre les pharmaceutiques dans l’espoir de leur faire payer une partie de la note occasionnée par la crise des opioïdes, qui coûte effectivement très cher dans certaines régions. Air connu ? De fait, c’est le même raisonnement qui a permis aux États-Unis d’obtenir des dizaines de milliards de dollars des fabricants de tabac. Mais ce n’est pas fait, loin de là.

Oui, la crise des opioïdes a un coût social et sanitaire considérable. Mais contrairement au tabac, les opioïdes d’ordonnance ont une utilité médicale réelle.

Malgré tout ce qu’on a pu entendre sur les stratégies de mise en marché de certains fabricants, qui auraient mis beaucoup d’efforts à convaincre les médecins américains de prescrire leurs antidouleurs pour des indications beaucoup plus larges que celles prévues à l’origine, il ne sera pas évident de démontrer leur part de responsabilité dans les surdoses ayant nécessité des trajets en ambulance, des hospitalisations et des cures de désintoxication.

Et si certaines causes ont particulièrement terni l’image de l’industrie aux États-Unis (verdict de fraude contre des dirigeants d’entreprise, médecins accusés de prescriptions abusives, grossistes poursuivis au criminel), ce n’est pas l’opinion publique qui tranchera les recours des États. La poursuite de l’Oklahoma, par exemple, sera entendue par un juge — et non pas par un jury, comme les procès que des particuliers ont gagné contre Monsanto en Californie.

Est-ce que le Québec, où les ordonnances d’opioïdes sont les plus faibles au pays (en termes de doses thérapeutiques quotidiennes), et où l’espérance de vie à la naissance continue de s’améliorer, verra un intérêt à poursuivre les pharmaceutiques ? C’est loin d’être certain, d’autant que son recours contre les compagnies de tabac est le seul du genre.

Les fabricants d’opioïdes, eux, en ont évidemment pour de nombreuses années encore devant les tribunaux. Mais chez nous, ce sera peut-être plutôt les actions collectives, comme celles qui ont récemment fait l’objet d’une demande d’autorisation en Ontario et au Québec, qui leur donneront du fil à retordre.

Voyez la demande d’action collective québécoise pour dépendance aux opioïdes

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