Sous la direction de la ministre Mélanie Joly, le fédéral a enfin compris ce que l’industrie répète depuis des lustres : le tourisme est une activité à fort potentiel de croissance qui est sous-exploitée au Canada. Son plan d’attaque est clair et vise des cibles pertinentes — en particulier la nécessité d’attirer plus de visiteurs étrangers à l’extérieur des grands centres. Reste à trouver comment les y amener.

« Le tourisme est maintenant à la table des grands », a souligné la ministre du Tourisme dans un discours au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) cette semaine.

La nouvelle est passée pratiquement inaperçue dans le budget fédéral de février dernier, mais elle est éloquente.

Le gouvernement Trudeau a ajouté le tourisme à sa courte liste de domaines à forte croissance et à fort potentiel, sur laquelle on retrouve surtout des secteurs technos comme les industries numériques, les sciences biologiques et de la santé, la fabrication de pointe ou les technologies propres.

La distinction n’est pas qu’honorifique.

Chacune des industries ciblées est dotée d’une « table sectorielle », réunissant des gens d’affaires et des représentants du fédéral, et présidée par un chef d’entreprise.* Le dernier budget Morneau a aussi créé un Fonds pour les expériences canadiennes de 58,5 millions sur deux ans pour subventionner des projets à l’extérieur des grands centres et en dehors de la saison estivale. Cinq millions de dollars supplémentaires ont aussi été accordés à Destination Canada pour une campagne de marketing spéciale.

Réparti dans l’ensemble du pays, ce n’est pas le pactole. Mais comparé au gouvernement Harper qui, pour l’essentiel de son mandat, a rogné dans le financement de ce qui s’appelait alors la Commission canadienne du tourisme**, c’est un net progrès. Les conservateurs accordaient si peu d’importance à la promotion de la destination canadienne qu’à la dernière Exposition universelle, à Milan, en 2015, le pays n’était même pas représenté ! Une erreur qui ne se répétera heureusement pas à la prochaine expo universelle, l’an prochain à Dubaï, où le Canada a déjà confirmé sa présence avec un pavillon de près de 4000 pi2.

PHOTO MATHIEU DUPUIS, COLLABORATION SPÉCIALE

Eeyou Istchee Baie-James

On a aussi eu la sagesse de ne pas trop s’étaler, en concentrant l’argent du nouveau Fonds sur cinq priorités au potentiel évident. Deux d’entre elles sont très ciblées (tourisme dans les communautés autochtones et activités destinées à la communauté LGBTQ2). Deux autres sont très générales (activités hors saison, en particulier l’hiver, et tourisme en région rurale et éloignée) et la dernière (tourisme culinaire) pourrait en fait être fondue dans les autres.

Attirer des visiteurs étrangers hors saison est un travail de longue haleine, mais des deux priorités plus générales, c’est sans doute la plus facilement réalisable.

Le Canada ne manque pas d’attraits hivernaux et automnaux. Il s’agit de rejoindre les touristes intéressés par ce genre d’expériences, et disponibles pour voyager à ce temps-là de l’année.

Attirer les visiteurs à l’extérieur des grands centres est un problème autrement plus large, qui touche presque tout le Canada. À elles seules, les trois plus grandes villes du pays attirent en effet près des trois quarts des visiteurs, indique un rapport de Destination Canada publié en décembre dernier. Que les étrangers y atterrissent et désirent les voir, c’est normal. Sauf que si l’on veut pouvoir parler du tourisme comme d’un véritable moteur économique, il faut les amener ailleurs. Mais par quels moyens ? Malheureusement, la stratégie gouvernementale ne prévoit rien là-dessus.

Oui, deux ans, c’est trop court pour venir à bout d’un problème aussi profondément ancré. N’empêche, il faut commencer quelque part. La ministre Joly parle de créer des destinations populaires en région, qui permettraient aux transporteurs d’offrir des vols directs plus rentables. On sent néanmoins une certaine impatience. « Nos compagnies aériennes pourraient en faire plus pour vraiment travailler avec l’industrie touristique, pour créer des forfaits et amener des touristes étrangers », nous a-t-elle dit en entrevue.

Le Canada, pays des grands espaces, est aussi celui des transports trop chers ou trop lents, pas assez fréquents ou carrément inexistants. Les solutions peuvent différer d’un endroit à l’autre, et des initiatives locales seraient bienvenues, mais tant qu’on ne règlera pas ça, il sera illusoire de penser amener significativement plus de visiteurs étrangers hors des sentiers battus.

*Les membres de la table en tourisme doivent être annoncés d’ici la fin juin.

**Aujourd’hui appelée Destination Canada.

PHOTO DARREN CALABRESE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le parc national de Gros Morne, à Terre-Neuve

Même les parcs nationaux

Même les parcs nationaux ont des problèmes d’éloignement. Les deux plus populaires au classement de TripAdvisor reçoivent seulement… 3 % des visites de parcs nationaux à eux deux. Il faut dire que le premier, Gros-Morne, est situé à Terre-Neuve, et le second, Hautes-Terres-du-Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Les trois suivants, par contre, attirent 46 % des visiteurs à eux seuls. Et pour cause : Pacific Rim est à une heure d’avion du très populaire Vancouver. Et les deux suivants (Banff et Jasper) se trouvent dans des zones bénéficiant d’une forte affluence touristique. Source : Créer des emplois pour la classe moyenne : une stratégie fédérale pour la croissance du tourisme, mai 2019

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