Fournir des tampons et des serviettes hygiéniques aux employées de la fonction publique fédérale, de la GRC et de certaines entreprises privées ? S’il s’agissait seulement d’ouvrir le débat sur le sujet, inutilement tabou, des menstruations, l’initiative de la ministre fédérale de l’Emploi, Patty Hajdu, mériterait des applaudissements. La gratuité qu’elle propose, hélas, est fort mal ciblée et serait bien plus utile ailleurs.

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« S’il s’agissait seulement d’ouvrir le débat sur le sujet, inutilement tabou, des menstruations, l’initiative mériterait des applaudissements », écrit Ariane Krol.

« Monsieur le Président, c’est extraordinaire de pouvoir avoir une discussion sur les produits menstruels à la Chambre des communes », a lancé la ministre Hajdu mardi à Ottawa.

C’est effectivement un début, mais ce n’est que ça. En effet, la modification au Code canadien du travail publiée dans la Gazette du Canada vendredi dernier n’aiderait en rien les femmes qui en ont le plus besoin.

En vertu du Code, les employeurs de compétence fédérale doivent fournir à leur personnel du papier de toilette, du savon et de l’eau chaude ainsi qu’un moyen de se sécher les mains. La ministre propose d’ajouter des « produits menstruels » à la liste de ce qui devrait être offert gratuitement.

« La difficulté d’accéder à des produits menstruels peut créer des obstacles qui entravent la pleine participation des employé(e)s [sic] au sein de la société et dans le marché du travail », indique la Gazette.

Oui, le manque d’argent pour acheter des produits dits d’hygiène féminine (tampons, serviettes, etc.) est un vrai problème qui revient tous les mois pour des dizaines de milliers de femmes au Canada.

La modification réglementaire mise de l’avant ne leur sera malheureusement d’aucune utilité. Cette mesure, en effet, s’appliquerait uniquement aux milieux de travail sous réglementation fédérale, soit publics (fonction publique, sociétés d’État, GRC) ou privés (banques, transport aérien et ferroviaire, services de télécommunication et de télédiffusion, ports, etc.). Autant d’endroits qui, règle générale, offrent des salaires décents.

Il faudrait d’ailleurs demander aux principales intéressées ce dont elles estiment avoir besoin pour leur confort et leur avancement professionnels.

On trouverait sans doute bien d’autres choses que des tampons et des serviettes sur leur liste — de la formation et des congés supplémentaires, par exemple.

C’est pourquoi il serait important de savoir combien la mesure proposée coûterait aux employeurs. La ministre semble compter sur les organisations qui prendront part à sa consultation pour se faire une tête, mais Ottawa devrait effectuer ses propres calculs pour les employées de l’État. On saurait ainsi combien son gouvernement est prêt à consacrer à cette cause — car c’en est une.

Quand la très sérieuse Gazette parle d’une « conscientisation et une reconnaissance accrue […] quant au fait que les produits menstruels sont des articles nécessaires essentiels », il est clair que le gouvernement cherche à passer un message.

On l’a vu dans les propos de la ministre du Tourisme, Mélanie Joly, qui a poussé le zèle jusqu’à suggérer à l’Assemblée nationale de rendre ces fournitures gratuites pour les Québécoises. Et dans la réplique disgracieuse du chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, qui a accusé Mme Joly de tenter « d’acheter des votes avec des tampons ».

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La publication de Maxime Bernier

Cela dit, si les ministres Hajdu et Joly veulent donner l’exemple, elles font fausse route. On le voit avec la rémunération, les congés et autres conditions de travail : les avantages offerts au secteur public et aux employés des grandes entreprises à charte fédérale ne percolent pas dans le reste de la population.

S’il y a un message à passer, c’est qu’il est temps de s’occuper des femmes qui n’ont réellement pas les moyens de s’acheter les produits hygiéniques dont elles ont besoin. 

Celles qui vivent dans la rue, dans des refuges ou dans des communautés nordiques où les prix sont prohibitifs.

Ce n’est pas d’être une personne de sexe féminin en âge de procréer qui pose problème, mais la pauvreté. C’est pourquoi de nombreux établissements d’enseignement ont eu la bonne idée de mettre le nécessaire à la disposition des étudiantes qui en ont besoin. Et pourquoi le ministre de l’Éducation de la Colombie-Britannique vient d’ordonner à toutes les écoles publiques de sa province d’offrir les produits requis gratuitement dans leurs toilettes publiques d’ici la fin de l’année.

Si le gouvernement Trudeau tient à dépenser de l’argent en tampons, qu’il le fasse pour celles qui en ont réellement besoin. Ça ne lui vaudra pas plus de votes, mais sûrement beaucoup moins de critiques.

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