Un élu peut-il empêcher des citoyens de le suivre sur Twitter? En ce jour d'élections municipales à Ottawa, le maire Jim Watson est poursuivi personnellement pour entrave à la liberté d'expression. La cause rappelle celle que le président Trump a perdue aux États-Unis en mai dernier. François Legault a bien fait d'arrêter ce petit jeu avant de devenir premier ministre.

La poursuite déposée mardi dernier contre le maire Jim Watson est sans doute une première au Canada. Et elle concerne tous les politiciens du pays, car elle s'appuie sur la Charte canadienne des droits et libertés.

Les trois plaignants affirment avoir été bloqués du compte @JimWatsonOttawa à la fin de septembre. Ça les a empêchés d'avoir accès à des informations importantes, d'exprimer leurs opinions sur des questions d'intérêt public et d'accéder à une plateforme de débat public, fait valoir leur avocat, Paul Champ.

Twitter est moins populaire que d'autres réseaux sociaux, comme Facebook, mais les personnalités publiques y sont très suivies. Les coups de gueule de @realDonaldTrump sont remarqués, et largement commentés.

Le blocage d'un compte inflige donc une double exclusion. L'abonné bloqué ne peut ni voir les messages ni y ajouter son grain de sel.

On n'est donc pas étonné qu'un tribunal de l'État de New York ait jugé que le compte du «45e président des États-Unis» est un forum public, et que bloquer des plaignants en raison de leur discours politique viole le premier amendement.

Il faudra voir si l'atteinte à la liberté d'expression sera reconnue par le droit canadien. Mais quand le maire d'Ottawa prétend que «ce compte Twitter est [son] compte personnel», il n'est pas plus crédible que Donald Trump.

Oui, ses messages des dernières semaines défendent surtout son intérêt personnel de candidat à sa propre élection. Mais ses activités de maire, qui occupent habituellement l'essentiel de son fil, y sont toujours - incluant des messages d'intérêt public après les récentes tornades, auxquels les utilisateurs bloqués n'avaient pas accès.

Sur les principes généraux qu'il défend, par contre (le droit de ne pas se «faire attaquer et harceler par les mêmes individus sur une base régulière», «ce genre de comportement ne serait pas toléré dans un débat face à face»), il n'a pas tort.

Le réseau Twitter est devenu un aimant à commentaires immondes et haineux. Un politicien qui, pour prendre le pouls de la population, se fait un devoir de lire les messages publiés en réaction aux siens en prend plein la figure. Ce n'est pourtant pas obligatoire.

Comme l'a rappelé la juge dans l'affaire @realDonaldTrump, Twitter a aussi une fonction «masquer». 

L'abonné masqué peut voir les messages et les commenter, mais le titulaire du compte n'est pas obligé de les voir. Le tribunal new-yorkais avait d'ailleurs proposé cette solution qui «préserve la capacité du Président à ignorer les messages envoyés par des utilisateurs». Hypocrite? Pas plus que de faire filtrer son courrier et ses appels par des employés.

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La bataille judiciaire est loin d'être terminée. La poursuite contre le maire d'Ottawa sera entendue le 31 janvier et aux États-Unis, la Maison-Blanche a décidé d'en appeler.

Il est toutefois évident qu'un fil Twitter relayant les opinions et activités politiques d'un élu n'est pas un compte privé, à plus forte raison s'il dirige un gouvernement.

François Legault s'est beaucoup fait reprocher son usage impulsif du blocage sur Twitter, y compris contre des journalistes. Il a heureusement renoncé à cette pratique vexatoire l'été dernier, parce qu'il aspirait «à devenir premier ministre du Québec». Bien vu. Un élu ne devrait pas avoir besoin d'une poursuite pour se rendre compte d'une telle évidence.

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