Si le Canada veut négocier un accord de libre-échange avec un pays ayant une économie dirigée, comme la Chine, il devra y réfléchir à deux fois. Une telle entente pourrait lui coûter sa participation à l'Accord États-Unis - Mexique - Canada, (AEUMC), suggère le texte conclu dimanche soir. Le gouvernement Trudeau a beau tenter de relativiser, il est évident que le Canada se serait mieux porté sans une telle clause.

Personne ne l'avait vue venir, et pour cause. Non seulement la disposition est inusitée, mais il n'en a jamais été question dans les déclarations publiques sur la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Enfoui dans le chapitre 32 sur les « Exceptions et provisions générales », l'article 32.10 impose plusieurs obligations au partenaire intéressé à nouer un accord de libre-échange avec un pays n'ayant pas une économie de marché (non-market economy). Premièrement, donner un préavis d'au moins trois mois avant d'entamer les négociations et, si elles sont fructueuses, un accès à tous les textes au moins un mois avant la signature. Deuxièmement, si un accord de libre-échange entre en vigueur, permettre aux deux autres partenaires de se retirer de l'AEUMC pour y substituer un accord bilatéral, et ce, à six mois d'avis.

Officiellement, Washington craint que ses deux voisins soient utilisés pour faire entrer sur son territoire des produits qui, s'ils étaient envoyés directement de leur pays d'origine, seraient frappés de tarifs douaniers à la frontière américaine.

Mais le contexte de guerre commerciale actuel donne aussi l'impression que l'administration Trump cherche à isoler Pékin et à marquer sa zone d'influence.

Sauf que les administrations passent et les accords commerciaux restent. C'est l'idée : instaurer un climat prévisible afin de favoriser le développement économique. Dans quoi s'est engagé le Canada avec ce fameux article 32.10 ? Jusqu'ici, le gouvernement Trudeau s'est efforcé d'en minimiser la portée.

La ministre des Affaires étrangères a fait valoir que l'ALENA prévoyait déjà une porte de sortie moyennant un préavis de six mois. C'est un fait, mais plutôt qu'un saut dans le vide, comme avait menacé de le faire Donald Trump, le nouvel article prévoit que les deux partenaires restants sortent main dans la main en conservant les termes de l'accord devenu bilatéral. Pour le Canada, qui redoutait d'être exclu de l'ALENA, c'est drôlement dissuasif.

Le premier ministre a aussi assuré que le Canada continuerait à développer ses relations économiques avec la Chine. Là n'est pas la question. Discussions exploratoires avec la Chine, consultations publiques avec les Canadiens : Justin Trudeau a poussé l'idée d'un accord de libre-échange assez loin. Il est même venu près de lancer des négociations formelles en décembre dernier. Aurait-il aimé mener ces démarches sous la menace publique de perdre sa place dans l'ALENA ? Aurait-il eu la même crédibilité ?

Le problème ne se pose pas dans l'immédiat, car les pratiques commerciales de la Chine suscitent de nombreuses réserves. Mais l'intérêt est indéniable.

« La croissance chinoise représente de 30 à 35 % de la croissance mondiale », souligne Yves Tiberghien, professeur de science politique à l'Université de la Colombie-Britannique et membre émérite de la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Il trouve donc étonnant que le Canada ait ainsi sacrifié « ce qui est déjà la deuxième économie du monde et va devenir la première ».

Quoi qu'en dise le gouvernement Trudeau, il aurait été de loin préférable, pour son administration comme pour les suivantes, de ne pas avoir une telle clause dans les pattes.

Consultez l'article 32.10 (en anglais)

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